Maintenant je vais vous proposer de remonter en notre compagnie la Sophienstrasse pour gagner notre lieu sacré, notre Everest d’épicuriens, notre bain de jouvence. Bref ! vous allez nous accompagner aux « Thermes de Caracalla ».
Cette incomparable installation thermale en perpétuel remaniement, qui nous fascine année après année, et qui réussit, à chaque expérience, à nous plonger dans le nirvana de ses eaux pétillantes. Ce champagne mousseux qui vous croule sur la tête en bain de jouvence et en chaudes cascades revigorantes. Cependant, chaque année apporte aussi sa transformation et voit se multiplier hammams, saunas divers et variés, salles d’aromathérapie. Que sais-je !
De l’Aroma-Sauna au Sauna méditation à 65 degrés seulement, tout un éventail de structures est mis à votre disposition. Certes, avec plus ou moins de bonheur. Que je m’explique : La nouveauté dans la modernisation de l’établissement, c’est un gigantesque sauna d’environ cent places, à 90 degrés, qu’ils ont appelé Spectaculum Sauna.
Tiens-donc ? Pourquoi Spectaculum ? Tout simplement parce que, quatre fois par jour, à heures fixes, un spectacle y est donné. Je n’avais jamais assisté à une scène de théâtre dans un sauna et, comme l’heure était, ce matin-là, propice, décidai d’y aller voir.
Thermes de Caracalla, mardi onze mars, dix heures de matin.
Un moniteur vient justement d’accrocher une pancarte à la porte, interdisant désormais l’entrée pendant la cérémonie qui va y être donnée. Il consent cependant, in extremis, à me laisser pénétrer. Intégralement nu, j’ouvre la porte de l’enceinte surchauffée et demeure foudroyé dans l’instant par le regard bovin d’une centaine de personnes des deux sexes et autres. En majorité Alsaciens, bin vrèèèment. Assis sur trois étages de gradins, ils ont le regard vif des supporters du Paris-Saint-Germain sommés d’assister, à Bayreuth, à la représentation de Tristan et Isolde, de Richard Wagner, interprété par Wolfgang Windgassen et Birgit Nilsson. Ou peut-être même Kirsten Flagstad.
Les voilà dispersés sur trois ou quatre gradins de bois, recroquevillés les uns contre les autres. Un peu comme les hirondelles préludant, sur les fils électriques, la grande migration de septembre. Sauf que les hirondelles ont des plumes alors que ces bipèdes cramoisis de chaleur, qui se blottissent cuisses contre cuisses, sont intégralement à poil.
Deux femelles mafflues s’écartent dans un bruit mouillé de tulle gras qu’on décolle d’une plaie suppurante, pour me ménager une petite place où j’étends ma serviette de bain. Et maintenant, ladies and gentlemen, ajustez bien votre ceinture de sécurité car vous allez, nous allons assister au spectacle le plus invraisemblablement kitch que jamais metteur en scène, fût-il flamand, wallon ou moldo-valaque, osa jamais présenter sur une quelconque scène éloignée de Bretagne, celle de la région des monts d’Arrée. Bref ! Une super-production bas de gamme, tellement bas de gamme qu’il n’y a pratiquement plus de gamme !
Les deux battants de la porte s’écartent soudain pour laisser entrer, fendant des vagues monstrueuses et des déferlantes imaginaires, une sorte de grand chariot à roulettes popularisé par les grandes surfaces, caréné, avec un peu d’imagination, en vaisseau de haut-bord, poussé par deux marins d’opérette, galonnés jusqu’à plus soif !
Evidemment, vous n’auriez pas pu le deviner mais ce caddy de supermarché Auchan, c’est tout simplement le Titanic. Parfaitement, ladies and gentlemen, le Titanic. D’ailleurs, c’est marqué dessus en belles lettres d’or !