Nous avons couru de concert quelques péripéties aventureuses, dont deux faillirent bien nous être fatales, l’une à Djibouti, l’autre dans notre cher archipel des Marquises.
Le souvenir marquant que je garderai de Roger restera celui d’un homme d’une honnêteté scrupuleuse, d’une constante et réelle fidélité et aussi, peut-être, d’une trop grande retenue affective.
Il devait ce tempérament réservé à la triste expérience d’une prime jeunesse particulièrement difficile et douloureuse. Ces blessures d’enfance, infligées par un destin sans pitié, ne cicatrisent jamais.
Cette retenue, il la devait également à son origine celtique qui fait de nous des individus souvent incapables d’extérioriser nos sentiments et de dévoiler nos émotions.
Evoquant cap Sizun dans son poème Le Casino des Trépassés, Tristan Corbière nous décrivait ainsi :
Penmarc’h ! Toulivern ! Pouldahud ! Stang-An-Ankou !
Des noms barbares hurlés par les rafales !
Roulés sous les lames sourdes, cassés dans les brisants…
Et perdus en chair de poule sur les marais.
Des noms qui ont des voix !
Là ! Sous le ciel neutre, la tourmente est chez elle, le calme est un deuil …
Là naissent et meurent
Des êtres couleur de roc,
Patients comme des éternels,
Rendant par hoquets une langue pauvre, presque éteinte,
Qui ne sait ni rire ni pleurer.
Cependant, bien que je craigne que Roger n’ait jamais pu extérioriser son émotion, qu’il n’ait jamais su trouver les mots pour la dire, je sais, moi, pour l’avoir accidentellement découvert à Djibouti, à quel point il aimait ses enfant : Philippe, Ronan et Anne.
En ce jour où notre vieil ami nous quitte, j’éprouve l’étrange sensation qu’il m’a chargé de leur exprimer une dernière fois cet amour paternel qui fut le sien.
Adieu donc, cher Roger.
Mortels, nous sommes chair, souvenance, présage. Un mystère est tout notre bien.
Raoul, avril 2013