Mars 1985, aéroport de Cagayan de Oro, en route pour Mindanao.
BERNARD : Dis-moi ! Tu as vu ce mec ? Non pas celui-là… L’autre, là-bas, tout rouge… Il a une bobine qui ne m’inspire vraiment pas, observe-le bien : Il a un paquet sous le bras qu’il n’arrête pas de surveiller… Et si c’était une bombe ? Tu sais que le N.P.A. recrute depuis trois mois des mercenaires européens.
N.P.A. = New People Army, guérilla financée et soutenue par la Chine contre Ferdinand Marcos.
RAOUL : Mais enfin, il vient de passer sous le portique, ce mec !
BERNARD : Mais je te dis que non, bon sang, les passagers en transit pour Davao, Cotabato et Zamboanga ne sont même pas contrôlés. Ils s’en foutent complètement. Ici, c’est le groupe Abu-Sayyaf qui fait la loi.
Le terroriste rubicond du N.P.A., l’émotion, faut comprendre, manipule effectivement sa boite avec d’infinies précautions. Il est vraiment rouge comme un pouce-pied hirsute et arbore d’énormes lunettes de myope qui le font ressembler à un crapaud-buffle… Il semble soudain prendre conscience que nous le fixons avec une relative hostilité et nous adresse un sourire niais.
BERNARD : Qu’est-ce qu’on fait ?
RAOUL : Mais je n’en sais rien, mon vieux, que veux-tu qu’on fasse ?
BERNARD : S’il continue à manipuler sa boite noire, tu lui fonces dans les jambes et moi, je le plaque au sol en bloquant la bombe.
RAOUL : Mais tu es con, mon vieux, tu n’es même pas sûr qu’il s’agisse d’une bombe !
BERNARD : Je m’y connais, j’ai comme le pressentiment qu’il s’agit d’un « rouge » du N.P.A., il va faire sauter le zinc, ce fumier !
RAOUL : Mais pourquoi, pourquoi, nom de Dieu ?
BERNARD : Mais, pauvre pomme, tu ne sais pas que la compagnie Philippines Airlines appartient à Imelda Romualdez Marcos, la « First Lady » de Ferdinand Marcos, ministre et gouverneur de Manille. D’ailleurs, depuis l’assassinat de Benigno Aquino, commandité par le général Fabian Ver, ils sont prêts à tout.
RAOUL : Le voilà qui recommence avec sa boite !
BERNARD : Tu as vu, il l’a approchée de son oreille… Il vérifie le mécanisme d’horlogerie…
RAOUL : Le voilà qui la pose tout doucement, ben mon vieux ! Et si tu avais raison ?
BERNARD : Attends ! Je vais shooter dans cette boite, un grand coup de pied, et toi tu le boques aux jambes !
RAOUL : Mais non elle va te péter à la figure… Tiens, le voilà qui vient vers nous.
Arrive le pouce-pied à lunettes, le visage cramoisi de coups de soleil…
ALAIN BEULEMANS : Bonjour messieurs, vous attendez vous aussi le courrier de Tagbilaran ?
BERNARD (abrupt) : Qu’est-ce que vous avez dans cette boite ?
ALAIN (déconcerté) : Mais ce sont des pralines que je rapporte de chez Léonidas à Bruxelles, pour ma fiancée philippine de Cebu. (Le sourire extatique et perdu). Une fantastique beauté, je ne me contrôle plus, et j’accumule les séances de sun burning pour être présentable, elle est si délicieusement bronzée.
Et c’est ainsi que nous fîmes connaissance d’Alain Beulemans, ce Belge fou d’amour qui, le soir même, nous invitait au Alavar Seafood House, calle Valdemosa, devant la mer de Sulu. Où il nous entretint indéfiniment de sa belle, Menchu del Rosario. Sortant fébrilement sa photo, la langue pendante…
ALAIN : Regardez comme elle est belle.
BERNARD : Et elle vous aime ? mais ce n’est pas possible !
ALAIN : Mais je suis belge, monsieur.
BERNARD : Wallon ou Flamand ?
ALAIN : Ni l’un, ni l’autre, Monsieur, je suis bruxellois ! Et pas de Molenbeek, mais de Saint-Gilles, près de la Grand-Place.
Dans un mois nous serons mariés.
Le Christ à son souper sentit moins de terreur
Que je ne sens ce soir de gaieté dans le coeur.
Allons ! Vive l’amour que l’ivresse accompagne !
Que ses baisers brûlants sentent le vin d’Espagne,
Que l’Esprit du vertige et des bruyants repas
A l’ange du plaisir nous porte dans ses bras !
Allons ! Chantons Bacchus, l’Amour et la folie !
Buvons au temps qui passe, à la Mort, à la Vie !
Oublions et buvons. Vive la Liberté.
Chantons l’Or et la Nuit, la Vigne et la Beauté !
La deuxième partie sera rédigée par Alain Beulemans lui-même (C’est bien entendu un pseudonyme). Voici donc la suite de : « UN AMOUR PHILIPPIN », qui sentait trop la frite et la gueuse lambig.