Il fait un temps magnifique, ce 11 août 1968, et c’est un dimanche !
Quatre jeunes bons copains des environs de Saint-Sauveur, dont l’un d’eux accompagné de sa future belle-famille, se sont donné rendez-vous sur le site des «Quemperez», à «Keremma». Une après-midi à la plage quand il fait si beau, c’est ce que l’on peut faire de mieux en cette saison, il faut en profiter !
C’est la première fois qu’ils vont à cet endroit de la côte et ils découvrent, éblouis, au bout de l’ode sablonneux ménagé entre les dunes, le fabuleux, immense croissant de sable blanc qui s’étire jusqu’à la baie de Goulven, parsemé d’amas rocheux, dont deux d’importance, affublés d’une proéminence particulière qui les caractérise.
Un fantastique espace que ce site à faible déclivité, parcouru par les ruissellements arborescents des rivières qui le traversent, où les parties sablonneuses imprimées des ondes triturées par les courants, côtoient, aux abords des roches, des zones caillouteuses plus ingrates. Y résonnent les rires, les chahuts joyeux des viriles bourrades des garçons qui grimpent sur les roches, se coursent, taquinent, au passage, les filles. La détente est totale, dans l’attente – digestion oblige – de la baignade dont c’est enfin l’heure !
Alain et Jean, pudiques, ne souhaitent pas – sans vraie tenue de bain – s’exposer aux regards ; ils contournent «Roc’h Velen» et – par-delà les multiples bancs de sable qui affleurent entre les larges et minces flaques mouvantes et filets d’eau tiédis où s’abandonnent, tressautant sous l’ondulation impromptue de quelque gravette émergeant un court instant, coquilles nacrées dégarnies de moules, de palourdes, de couteaux dont le lieu est riche – les deux amis vont chercher, plus au nord, l’eau remuante encore des dernières houles.
Alain, bon nageur, s’entraîne régulièrement à la piscine de Commana et Jean, moins assuré, a tout de même appris à nager avec son oncle gendarme. Les deux garçons se régalent, plongent dans les lames, heureux ! Les aînés du groupe, passant un peu plus tard près d’eux, leur conseillent, ainsi qu’ils le font eux-mêmes, de rentrer. La mi-marée n’est pas loin.
Tout à leur jeu, les ont-ils entendus ?
Ils s’attardent, prolongeant, insouciante jeunesse, quelques instants pensent-ils sans doute, ce bain où leur fougue, fouettée par les rouleaux de la montante, s’épanche. Mais le flot a ses impératifs, inéluctables. 92 de coefficient, il marche au moment de la mi-marée (où le courant est le plus fort), au pas rapide d’un homme.
Les deux amis n’ont pas mesuré les conséquences de ces précieuses minutes prises à la volée et, méconnaissant l’itinéraire par le banc de sable émergeant encore à l’ouest de «Roc’h Velen» avant d’être pris en tenaille par les flux nord-ouest et nord-est qui se déploient déjà au sud de la roche, ils cherchent à regagner le rivage au plus vite, droit devant eux.
En tentant de traverser le chenal, le flot tourbillonnant dans les cavités créées par le fort courant qui déboule – faisant fuir le sable sous leurs pieds – les déséquilibre et les entraîne vers le fond.
Jean, ce garçon calme et réfléchi, panique. Malgré l’assistance de son copain qui tente de tout son cœur de l’aider, il est happé, ne peut faire surface. Constatant son impuissance et, lui-même en grand danger, Alain réussit dans une lutte désespérée, à rejoindre in extremis, le rivage. Hors d’haleine, il prévient, dans un souffle, du drame qui se joue et s’évanouit.
Sur les lieux, M. Le Saint, le secrétaire de mairie de Cléder, comprend très vite l’urgence, court à sa voiture garée à deux cents mètres. Le temps de trouver un téléphone dans une ferme, de joindre, ce n’est pas encore automatique, «l’Abri» à Kerfissien, que la patronne prévienne François qui raconte :
Avec Roger Martin, le C.R.S-M.N.S, je cours mettre le Zodiac à l’eau et fonce, les pieds bien calés, vers «Keremma». Arrivé au «Zerrou» (dans le travers de «Porz Gwenn»), je reconnais l’Hirondelle, le bateau de Jean Gueguen, qui tourne à plein régime, crachant une fumée noire…
Il m’explique par gestes, que le Zodiac de «Porz Gwenn» est en panne et moi, je dois encore trouver le lieu précis. Le temps presse…
Je m’approche de la plage, j’arrête le moteur, pour pouvoir entendre les indications. Enfin, j’y arrive ! Deux pieds émergent de l’eau… Je les attrape aussitôt, puis un homme surgit, en tenue de plongée.
Avec le maître-nageur, on prend le jeune et on l’étend sur le boudin. J’entame naturellement les premiers gestes et pendant ce temps, le plongeur, qui avait remonté le naufragé du fond, s’est hissé à bord et me dit :
- Laissez-moi faire, je suis le médecin de service.
Il est hélas trop tard et, malgré tous les soins prodigués, il faut bien se résoudre à la réalité, si désespérante soit-elle. François s’en souvient comme si c’était hier : l’effarement des regards, le désespoir des amis qui ne peuvent y croire :
« Pourquoi, comment, alors qu’il faisait si beau ? Et ce médecin de service qui s’est précipité dès qu’on l’a appelé, a plongé pour tenter d’enrayer le drame, j’aimerais bien savoir qui c’était ! Un médecin qui plonge pour aller secourir quelqu’un, ça c’est un sacré bonhomme ! », s’exclame François, plein d’admiration, revivant, toujours impressionné par les capacités et l’engagement total du médecin, découverts lors de cette scène si étonnante.
Après bien des recherches, nous avons retrouvé le fameux médecin de service, remplaçant du Dr. Hascoët, à Plounevez-Lochrist.
« Prévenu par téléphone à mon cabinet, je me suis précipité sur ma tenue de plongée et, guidé à la plage, j’ai rejoint les lieux à nage palmée et plongé pour retrouver Jean. »
Le docteur Lélias a retrouvé Jean après une demi-heure de recherches menées à partir de l’endroit où le jeune homme avait coulé. Passionné de mer, de plongée sous-marine, nageur expérimenté, Raoul Lelias savait qu’avec ses palmes, connaissant bien les lieux, il pourrait faire face dans le courant.