Quatre hommes se tenaient immobiles devant l’impressionnant char d’assaut, véritable blockhaus itinérant : le conducteur, le radio, le tireur et le chargeur. Le chef de char jeta un dernier coup d’œil ironique sur sa blouse blanche abandonnée, passa lentement devant eux et, avec une souplesse de félin, sauta sur la tourelle, suivi par l’équipage. Dressé sur son char, le commandant attendait maintenant l’ordre de passer à l’attaque.
Le rugissement soudain de l’impressionnant mastodonte me fit sursauter. Labourant la terre noire et grasse de ses larges chenilles, le char d’assaut opéra un demi-tour sur place et, canon pointé vers l’horizon, fonça droit vers l’ennemi et le soleil levant. L’extraordinaire aventure du lieutenant Otto Carius venait de commencer.
Otto Carius est né le 27 mai 1922 à Zweibrücken, en Rhénanie-Palatinat. C’est un petit garçon fragile, sujet aux crises d’asthme, d’aspect chétif, et frappé d’une insuffisance pondérale qu’il gardera toute sa vie ! Tout cela bien sûr n’est pas trop engageant et laisse imaginer un futur jeune homme, rat de bibliothèque, silencieux et furtif, véritable antithèse d’un lansquenet médiéval, qui n’intéresserait évidemment jamais l’armée de son pays. Ni aucune armée du monde d’ailleurs.
Dès son plus jeune âge, il ne rêve que de musique et maîtrise le piano avec bonheur. Il commence ensuite sans trop de conviction des études d’ingénieur et c’est là qu’il va tomber littéralement envoûté par l’arme blindée. Oui ! Le voici étrangement fasciné par les chars d’assaut et, dans son enthousiasme de néophyte, sollicite son admission immédiate au sein de cette arme.
Avec courtoisie et bienveillance apitoyée, le sergent recruteur va tout tenter pour l’en dissuader. Il lui fait remarquer, entre autres, que son poids reste notoirement insuffisant. C’est la réplique allemande de la chanson du petit Grégoire qui se joue. Avec obstination, l’adolescent revient inlassablement à la charge, tant et si bien qu’il finit par être admis, sous réserves, dans la septième division blindée. Il est maintenant chargeur dans un panzer de 38 tonnes à la base d’entraînement de Putlos, où on lui enseigne les rudiments de la guerre des blindés.
C’est alors que, le 22 juin 1941, Adolf Hitler déclenche l’opération Barbarossa contre l’Union soviétique. On recrute à tour de bras et son aspect de chat écorché passe maintenant au second plan : « Vous désirez vous battre, jeune homme ? Mais qu’à cela ne tienne ! »
La guerre éclate en Bretagne au printemps suivant, et Grégoire entre en campagne avec Jean Chouan. Fabienne Thibeault, Le petit Grégoire.
Arrive le baptême du feu. Otto va participer à la bataille de Smolensk. Plutôt honorablement, d’ailleurs. Le premier août 1941, il est même nommé sergent et, dans la foulée, admis au cours d’officiers. Il part pour l’Allemagne suivre une formation de commandant de char. C’est devenu un beau jeune homme romantique aux yeux rêveurs et à la bouche de Meg Ryan.
En février 1942, il rejoint le front. Il est temps car, au cours de l’hiver, la majorité des blindés a été perdue face à la poussée soviétique. Pendant toute cette année, son unité subit la pression ennemie, qui va s’accompagner de lourdes pertes. En janvier 1943 il est sélectionné pour rejoindre une unité de nouveaux chars lourds Tigre à Ploërmel, en Bretagne. En juillet 1943, il gagne le front de Léningrad, où il prend le commandement de la 2ème compagnie. Le 6 octobre, coup de malchance, son superbe mais encore fragile char Tigre, flambant neuf, est immobilisé par un ennui mécanique. La bataille fait rage et cette immobilité forcée le transforme en cible idéale.