A ce cher vieux Bernard, mon fidèle compagnon de voyage
Gonfle-toi vers la nuit Ô Mer Les yeux des squales
Jusqu’à l’aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et les derniers serments
Guillaume Apollinaire
Oh joies ineffables et divines des grands départs que nous avons connues quand nous partions pour d’improbables horizons, avec l’allégresse coupable de fuyards, à cette époque lointaine où le voyage était encore une Grande Aventure !
Nous prenions cet essor impétueux sur cette grande route occidentale, la tête remplie d’Eldorados probables, fonçant vers l’aéroport avec la joie un peu traître de ceux qui décampaient hier sans tourner la tête, pour aller rejoindre jusqu’aux Antipodes ces vieilles cohortes d’émigrés sans nostalgie, ivres de fatigue et d’espérance.
Oh enchantements de ces grands départs ! Sublimes béatitudes ! Comme je vous ai cherchées ! Vous étiez belles comme les Aurores de l’été,
Sources plus délicates au soir, délicieuses à midi ; eaux du petit matin glacées ; souffles au bord des flots ; golfes encombrés de mâtures ; tiédeur des rives cadencées. Ô ! s’il est encore des routes vers la plaine ; les touffeurs de midi ; les breuvages des champs, et pour la nuit le creux des meules. S’il est des routes vers l’Orient, des sillages sur les mers aimées ; des jardins à Mossoul ; des danses à Touggourt ; des chants de pâtre en Helvétie ; — s’il est des routes vers le Nord ; des foires à Nijni ; des traîneaux soulevant la neige ; des lacs gelés…… Certes, Nathanaël, ne s’ennuieront pas nos désirs…
André Gide / Les Nourritures terrestres
Ah ! Bernard, que toute émotion sache te devenir une ivresse !