9. Encore une petite brioche, Mamadou?

Ah! Cet étrange et singulier Valéry! Nues, il tenait ses mains comme gantées et ses adversaires disaient qu’il arborait un tel air de supériorité qu’on était blessé même de ses politesses. Très aristocratique, son beau-père, Timothée de Brantes, proclamait in petto:

«Nous sommes en Danger d’Intelligence!»…(Sic!)

Dès l’âge de dix ans, le malheureux était préparé à la présidence de la République.

Remerciait-il d’un cadeau de Noël, train électrique, sucettes multicolores, voire camion de pompiers, il ne s’adressait pas à ses parents, mais au peuple français. Toute la famille l’y encourageait. Ses sœurs, sa belle mère, ne vivaient que pour lui. Les maris ne comptaient pas auprès de cette adoration perpétuelle.

Valéry n’avait jamais pensé qu’à une chose, voulu qu’une chose, l’Elysée. Il avait en lui tous les inconscients du mari jaloux, de l’amant susceptible, de la mère bégueule et du père amoureux de sa fille.

Mais hélas, sans perdre un instant, ce Glorieux Imbécile commençait, dès la première nuit de son septennat, par abandonner tout sang-froid: Après avoir, émergeant fort ébouriffé des bras – d’une grisette qui le surnommait «Atchoum» – je vous en prie, ne me demandez pas pourquoi – il avait percuté aux aurores la camionnette d’un laitier. Il sortait, bafouillant et chuintant encore plus qu’à l’accoutumée, d’énormes paquets de grosses coupures destinés à calmer le conducteur interloqué qu’il venait d’emboutir. Grand Chuchpenche à l’Elysée!

On dit que les gens d’esprit font l’amour hors du lit conjugal, comme les chats aiment à manger hors de l’assiette …

Et Valéry s’arrangeait mieux de l’ardeur d’un coucher illégitime que de la chasteté du lit conjugal. Il ne faisait, en agissant ainsi, que se conformer à la multi-séculaire tradition d’inconstance et de frivolité si typiquement française.

Comment ne pas évoquer ici ce suborneur à l’esprit léger qui, après avoir usé et abusé des blandices d’une ravissante grisette, l’avait fort civilement éconduite et renvoyée à ses occupations. Et qui s’excusait en ces termes de ne pas en avoir assuré définitivement la charge après l’avoir compromise: «Dans les commencements de ma passion pour elle, je fus assez maître de moi pour ne la point vouloir épouser, ne voulant pas me ruiner pour l’amour d’elle; et quand l’amour m’eut mis en état de ne plus songer à mes intérêts, je songeai aux siens et ne voulus pas la rendre malheureuse en l’épousant, ni la ruiner pour l’amour de moi.»

Au débotté, pris d’une soudaine lubie,Valéry convoquait sans tambours ni trompettes les potentats du monde dit libre, dont l’américain Gérald Ford – vous vous rappelez, celui qui ne pouvait pas aborder un escalier sans le dévaler sur le derrière – à discuter, dans une piscine tropicale et martiniquaise, de « l’essoufflement biologique de l’espèce».

Tantôt, flanqué de sa pitoyable Anne-Aymone, il s’invitait à dîner chez de malheureux Français moyens, complètement affolés, qui renversaient d’émotion marmites et casseroles.

Tantôt, dès potron-minette, les gardes de l’Elysée, effarés, le surprenaient, courant en peignoir après des employés nègres de la voirie parisienne, pour les inviter à prendre le thé, rue du Faubourg Saint-Honoré: «Encore une petite brioche Mamadou? Quelques doigts de Darjeeling, peut-être? »

Il mangeait, à son insuais de bon appétit, un gigot d’étudiant congolais abattu dans une manifestation, chez son cher cousin, «l’Empereur» Jean Bedel Bokassa, toujours farceur en diable, mais économe en viandes : «Encore un peu de ce rôti ma chère cousine?» Et la pauvre Anne-Aymone de coasser d’enthousiasme feint !

Quand elle parlait, on croyait entendre une noix séchée se promenant dans la coque et l’adjudant-chef Bokassa Premier, promu Empereur, de bourrer les poches du cousin, qui protestait mollement, de superbes diamants – toujours à son insu? – gros comme des calculs de vésicule biliaire en fin de parcours.

J’oubliais …le Malheureux, éconduit du «Jockey Club», et du «Cincinnati», s’était fait … psychanalyser!!! Psychanalyser, pas moins! Ne manquait plus que la sismothérapie tempestive, que son état pour le moins préoccupant exigeait. Il vous recevait parfoi,s flanqué d’un huissier-garde du corps que son langage apparentait exactement à un infirmier: «Ne parlez pas de cela au président, il est très fatigué. N’abordez que des problèmes généraux». L’homme s’imaginait sans doute veiller sur un gâteux tragique qu’une émotion pourrait moins tuer que mettre en effervescence et pousser à d’étranges actes.

En résumé, il allait en fait – et ce pendant sept ans – nous régaler d’un tombereau de sottises, proférées dans l’atmosphère surréaliste d’un véritable feu d’artifice d’insupportable snobisme, avant de recevoir dans son abusivement Royal Séant, un magistral coup de pied qui l’expédierait sous les huées dans les ténèbres extérieures. « Au Revoâââââr!» Et, soudain, tout le monde lui tourna le dos!

Le maréchal de Villeroy ne disait-il pas: « Il faut tenir le pot de chambre aux ministres quand ils sont en puissance et le leur renverser sur la tête quand le pied commence à leur glisser».

Cependant, pas d’inopportunes espérances, braves citoyens, car il abandonnait la place à force funestes coquins, nuisibles fripons, et autres gens de néant!

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