Et voilà donc, cher vieil oncle oublié de tous sur un si lointain rivage perdu sous les constellations australes, vieux parent désolé qui n’a jamais revu la « Casa Familia » à laquelle tu tenais tant. Tu n’es pas mort avec les héros anglais de Coronel, ni avec les héros allemands des Falklands, disparus à jamais, sans avoir pu se projeter dans l’avenir. Un obus ne t’a pas enseveli aux Chemin des Dames ni à la côte 304. Tu n’as pas connu une si douloureuse agonie dans la sombre forêt d’Argonne, tu n’as pas été éventré d’un coup de baïonnette sur le Grand Chemin de Saint-Avold, ni gazé à Ypres ou sur l’Yser.
Mais tu as vécu. Certes un peu tristement, loin de tes Racines, avec les sommets des Andes qui te barraient l’horizon oriental d’où tu étais un jour venu. Il y avait maintenant si longtemps ! Oui ! Tu as vécu sous la clarté indécise et ensorcelante de la Croix du Sud, de l’Oiseau indien, des Nuages de Magellan et de la Chevelure de Bérénice.
Le Chili t’a donné une vie, à toi Henri, ou plutôt Enrique, que tes vingt ans, en 1914, condamnaient à une mort prématurée, inutile et stupide. Un siècle après ta cavale, tu viens nous présenter ta Victoire.
Et ta victoire, c’est une adorable petite Chilienne que l’on appelle Trinidad, qui rapporte un peu de toi-même dans ta maison, ta « Casa Familia », où ta mère t’a si longtemps attendu, où tu n’es jamais revenu, mais que ton spectre pourra désormais hanter à sa guise, ramené par ton arrière-petite-fille qui, comme tous les petits-enfants messagers inconscients de rêve, traînent dans leur sillage, ainsi que des Polters-geist (3*), des attentes insatisfaites et des espérances inassouvies.
Raoul Lélias
*1. Dolorès Ibàrruri Gomez surnommée « La Pasionaria », rendue célèbre par son discours : « NO PASARAN ! ». Ils ne passeront pas ! Amie de Palmiro Togliatti et de Santiago Carrillo Solares, secrétaire du Parti communiste espagnol qui, avant la chute de Madrid aux mains des troupes franquistes, fit acheminer les bourgeois suspects de non-conformisme politique enfermés dans les prisons de la capitale, à Paracuellos de Jarama et à Torrejon de Ardoz. Il donna ensuite l’ordre de fusiller, séance tenante, tous les catholiques, les médecins et les avocats ainsi que les sympathisants du soulèvement national. Il y eut plusieurs milliers de morts. On parla à l’époque d’un « Katyn espagnol ». Santiago Carrillo nia toujours sa responsabilité dans ces massacres, calquant sa conduite sur celle du méticuleux barbu Landru (Henri Désiré pour ces Dames !) et sur sa devise : « N’AVOUEZ JAMAIS ! ». La publication des archives soviétiques révéla bien que c’était bien lui qui avait donné l’ordre du massacre. Il a été élu député communiste aux Cortes après la mort du Caudillo. Tout ça est maintenant bien oublié !
*2. « The Frog Lets off » = Grand titre du New York Times, après la libération de D.S.K. de la prison de Riker Island : « La grenouille s’est fait la malle».
*3. Poltergeist = Phénomène paranormal se produisant au voisinage des enfants.
*4. Le général Revault d’Allones, qui se piquait de philosophie et jouissait d’une réputation flatteuse, proférait des maximes du type : « Ce n’est pas à la contraction du sourcil qu’on mesure la profondeur d’une pensée ! »… Fermez le ban !!!