Cette fois-ci, c’est la fin

Un vérin hydraulique fait soudain pencher les gradins sur tribord puis sur bâbord. Les gradins craquent, les cloisons étanches cèdent, la vapeur siffle, l’iceberg coagule et les Alsaciens de chercher en panique les canots de sauvetage.

Cette fois-ci, c’est la fin ! La panique quoi ! Je crois deviner, en smoking, écharpe de soie blanche, Bruce Ismay, président de la « White Star Line », s’éclipsant honteusement par la porte arrière, je vois aussi Lord Jacob Astor, accompagné de Benjamin Guggenheim, magnat du cuivre, descendre paisiblement les gradins en devisant avec une suprême distinction. Ces deux-là savent qu’ils vont mourir.

Plus loin, le concepteur du bâtiment, Thomas Andrews, nu et égaré, serre sous son bras les plans du navire. II lui reste à peine deux heures à vivre, peut-être moins. Il y a aussi le premier officier William Murdoch qui crie ses ordres, la voix couverte par le sifflement assourdissant de la vapeur purgée par les cheminées. Etrangement pâle, il sent sur sa nuque le souffle glacé de l’océan qui le réclame.

Sur la passerelle de commandement, près du bossoir de la chaloupe no 1, également nu comme un ver, mais fièrement coiffé de sa casquette de second officier, Charles Lightoller, me barre le passage en me tendant un peignoir de bain rouge. « Prenez ceci, monsieur, je vous en prie. C’est la fin d’un monde, savez-vous ? Et vous n’imaginez pas combien la nuit à venir va pouvoir être froide ! ».

Le nuage de vapeur se dissipe et je reviens lentement à moi. Les Alsaciens attendent le cri du commandant Apraidieu : « Les femmes et les enfants d’abord » mais soudain le haut-parleur, fait monter l’ambiance dramatique et, devant les baigneurs à poil et totalement ahuris, joue … alors là … Je vous le donne en mille : « Plus prais de toi mon Dieu, plus prèèèès de toi. Tes Saints d’un cœur joyeux en ont -ont — ont fait ce schoâââââ ! Fais-moi de jour en jour, grann dirr en ton amour… »

Je n’en crois pas mes oreilles ! L’avenir est sombre, le temps aussi, l’univers est glauque … et Dieu parle allemand ! C’est aussi gai, aussi dingue qu’un discours de commissaire du peuple à la session annuelle des producteurs léninistes de canne à sucre.

Derrière moi cependant, un joli petit brun sanglote ému sur l’épaule d’un hercule, sorte de grand costaud aux pectoraux luisants de culturiste qui, lui, en a vu d’autres. Le giton, c’est le treizième travelo d’Hercule.

Soudain, voici que la belle adolescente enfourche un vélo rouge. Chacun se surprend à rêver d’en être la selle. On ne sait pourquoi, tatouage surréaliste, une sorte de boa lui enlace la cuisse ! Dans tout serpent, il y a un cochon qui sommeille.

Elle quitte la scène pendant que Léonardo commence à ranger le matos en braillant « Nearer my God to Thee, E’en though it be a cross that raiseth me, still my song Shall be hearer my God to thee », sans doute pour vous laisser mijoter dans l’ambiance !

Et voilà, le Spectaculum est terminé !

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