3. Condor

Le Condor du Colorado ! Il est carrément hideux. Réellement on le croirait issu d’un oeuf, pondu par Emmanuelle Cosse. Vous vous souvenez encore de ce monstre d’Emmanuelle Cosse ? Non bien sûr. C’était il y a si longtemps ! Un oeuf de cette harpie, fécondé par François Hollande au son de l’Adagio d’Albinoni. Bernard disait de lui (de François Hollande, pas du Condor): « Comment ce minable nabot peut-il s’envoyer des nanas quand même pas trop dégueulasses ? » Et de s’entendre répondre : « Il doit être merveilleux au lit ! » Toute la question est de savoir maintenant comment il arrive jusque-là !

Que doit-on ramener du Grand Canyon, mon petit Pierre-Louis ?

Au fur et à mesure que tu descends vers le fleuve, 2000 mètres de dénivelé quand même, tu dégringoles en accéléré, tout au long des millénaires, enfouis dans les brouillards du passé. Ainsi, sur la rive du Colorado, te voici en plein coeur du précambrien, 1,5 à 2 milliards d’années, rien que ça. Et là, en cherchant un peu quand même, tu vas trouver, tiens-toi bien, du schiste de Vischnou et du granit de Zoroastre, pour ajouter à ta collection. Des formations métamorphiques de 2 milliards d’années ! Beaux objets de méditation que tu retrouveras avec émotion en fouillant un tiroir, quand tu auras 80 ou même 90 ans.

Et tes parents, qui ne seront plus là, et moi, peut-être encore moins là, étincelles d’éternité, nous revivrons dans ton souvenir, l’espace d’un instant !

Nos anciennes existences sont comme ces rêves fragiles qui nous viennent aux petites heures de l’Aube, et s’en retournent, flottant dans le vent comme des écharpes de brume à la surface des étangs. Allez hop, granit de Zoroastre et schistes de Vischnou fissa-fissa dans le sac à dos. C’est strictement interdit.

Tu peux aussi trouver des queues de crotale, dernières vertèbres desséchées de ces animaux. C’est avec cet organe qu’ils signalent leur présence par ce bruit caractéristique de crécelle. Enfilées autour du cou, il paraît que ça porte bonheur. On en trouve mais c’est interdit aussi.

Beaucoup plus haut, au niveau d’une strate correspondant au Jurassique, le « Supai group » je crois me souvenir, tu vas trouver, figées dans la roche, des empreintes de pattes de tyrannosaure ou de smilodon.

Ne pas oublier d’emporter un marteau de géologue et un burin pour en détacher une belle en douceur. Elle fera à ton retour l’honneur de ta vitrine. Attention, ça aussi c’est « strenght verboten », strictement interdit ! On verra plus tard comment éventuellement neutraliser un gardien.

Des souvenirs « vivants », maintenant, à prélever sur le Tonto plateau, par exemple des « échinocereus engelmannii » fleurs de feu et des « opuntias erynnacea « , les fameux « grizzly bear cactus ».

Tant d’années après, il m’en reste encore un. Hélas ! Il est formellement interdit d’effectuer le moindre prélèvement, merde, y’en a marre ! Ils commencent à me les briser menues.

Délicats comme tu les connais, les Américains sont très à cheval sur l’environnement. Si tu gardes en mémoire leurs farces désopilantes de Nagasaki ou d’Hiroshima… ou de Hambourg ou de Dresde. La mortalité effroyable qu’ils organisaient en 1945 dans leurs camps de prisonniers, comme les Anglais au Transvaal au temps de la guerre des Boërs! Ou encore si tu te souviens des cargaisons d’agent orange déversées plus récemment, mais à foison, de leurs bombardiers au Vietnam.

Tu sauras d’emblée adapter ton comportement au contact de ces grands sentimentaux, civilisés et si délicats. Si un Ranger te cherche noise, tu lui répondras sans hésiter que « L’Amérique n’existe plus! » L’Amérique, la Vraie, est définitivement morte. Morte, lors de la défaite des Confédérés à la bataille de Gettysburg et lors de la chute d’Atlanta. « In Dixieland I’take my stand to live and die in Dixie! » La chute d’Atlanta ! L’aiguillage fatal de l’Histoire. Ils sont partis, Stonewall Jackson, John Breckinridge, Benjamin Chestam, Pierre Toutant de Beauregard, le « Napoléon gris et or », Brayton Bragg, Patrick Clayburne, Jefferson Davis et tous les glorieux cavaliers de Fort Sumter, de Bull Run. Et de la Shenandoah River.

Voici venus les Yankees, les Carpetbagge’rs ! Et après les Yankees, il ne repousse rien. C’est fini. C’est le versant glacé de l’Histoire des Hommes qui l’emporte. L’énorme Amérique sera leur proie et aussi leur création. Et tous les hommes sentiront sur leur nuque le souffle froid de l’inhumain.

Le Grand Canyon ne vous appartient donc pas, gardes Yankees. Cette splendeur austère vous dépasse. Créatures de Wall-Street, voici un air irrespirable pour vous ! Ici, nous vivons dans ce qui fut l’univers des Sudistes, qui seuls sont capables à ce niveau de noble grandeur d’y respirer l’air qui leur convient.

Je désigne donc sous le nom de Sudistes tous ceux qui, à quelque moment, ont ressenti une contradiction profonde entre le mode de vie et de détermination qu’une idéologie prétendait leur imposer, et leur tempérament, leur instinct, leur attachement à une certaine manière d’être, qu’ils estimaient conforme à la nature des choses. Les « gardes blancs » qui ne capitulent pas devant le « sens de l’Histoire » et qui ne croient même pas à un « sens de l’Histoire ».

Bon j’arrête. Je sens que je m’égare.

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