Un parachutage aux Marquises

Es-tu libre ce soir, cher Axel ? Je t’emmène au Taaoné où les échos joyeux d’une énième fiesta se répercutent dans la rade. Le Taaoné est un immense bâtiment moderne érigé par le C.E.P. (Centre d’Expérimentation du Pacifique) au bord d’une immense plage de sable noir, face à la grande passe Taunoa qui ouvre largement la barrière de corail.

Cette passe Taunoa, je ne l’ai connue au fil des années qu’ensorcelante de couchers de soleil incandescents et chaque nuit que tiède, humide et parfumée, perpétuellement animée de si joyeuses lucioles dansantes, ensorcelantes roussalkas, jamais le même nombre, qu’allongés après le repas du soir sur nos fauteuils à bascule, nous admirions hallucinés, égarés au sein de ces nuits profondes et suaves des tropiques. C’étaient des pêcheurs au lamparos chassant les aturés pour le marché matinal de Papeete.

Dans cette vaste salle de réunion qui faisait office de mess des officiers, les fêtes succédaient aux réceptions et sauteries, à une cadence accélérée. En ce temps-là, par la grâce de la raie publique et du général de Gaulle réunis, l’argent irriguait magnifiquement les jardins du C.E.P. et les fruits passaient la promesse des fleurs.

Il y avait, ce soir-là, un bal costumé et, donc, abondance d’arlequins et de pierrots. Le médecin-colonel Martin-Sibylle nous avait tous surpris cravache au poing, se présentant en tenue de dompteur de grands fauves, suivi par les membres de sa famille qui, tous, avaient revêtu des costumes de cirque. Vingt musiciens tahitiens entretenaient une ambiance endiablée, alors que se succédaient les tamourés en vogue de Madeleine Moua que j’entends encore : Aue ! Ta’hu here tapiri mai’e. Aue ! Mama e e maa kera.

Vers 23 heures, le médecin commandant Jean Prince, de service ce soir-là, vint surprendre le patron du service de Santé :

  • Mon colonel, désolé de vous déranger, mais nous avons un problème sérieux. Je viens de recevoir un appel de Christian Rehm, le médecin du groupe nord des Marquises. C’est à propos d’un adolescent, le fils d’une huile, du moins à ce que j’ai cru comprendre à demi- mot. Je crois que Rehm est complètement paniqué et sollicite notre aide. Il lui faudrait des médicaments, essentiellement des antibiotiques, et aussi, dans la mesure du possible, un confrère pour l’assister.
  • Mais, commandant, vous vous rendez compte de la situation. Nuku-Hiva est à mille cinq cents kilomètres au nord-est de Tahiti. L’île est desservie par des goélettes, la Taporoo et la Tamarii-Touamotus, je crois. Les rotations se font tous les deux à trois mois. Unique possibilité d’intervention, l’avion, mais nous n’avons aucun aéroport dans l’archipel. Alors, une seule solution possible : le parachutage. En ce cas précis, il nous faut quelqu’un connaissant parfaitement l’île, et capable de nous fournir l’emplacement d’une dropping zone, et un médecin parachutiste. Cela dans les heures qui vont suivre. Eh bien, dites, à la bonne vôtre.
  • Justement, figurez-vous, va répondre Jean Prince, qu’il m’est venue une idée. Vous avez vu là-bas ce type au bar, torse nu avec une couronne de tiare, qui conte fleurette à Catherine Falco et Joëlle Rebuffat, les petites convoyeuses de l’air ? 
  • Oui bien sûr, je ne suis pas près de l’oublier : c’est Raoul Lélias qui nous a tellement empoisonné l’existence l’an dernier, et que j’ai viré chez Nabholtz au SMCB. J’avais demandé 14 médecins à Libourne pour 1966. Le colonel Rondreux, qui dirige l’école, me les adresse. Entre parenthèses, il m’avait promis les meilleurs ! Ben voyons ! Sur une promo de 279 toubibs, qui je reçois ? Je vous le demande. Les quatorze derniers, dont cet énergumène, reçu honorablement 279ème sur 279.

Les premiers avaient choisi Paris, la place Balard, la caserne de Clignancourt. « Tu te rends compte ma chérie, je n ‘ai même pas à changer de métro pour rentrer chez moi ! » s’enthousiasmait l’un de ces aventuriers. Il ne resta plus bientôt que vingt-deux places pour les futurs médecins terrorisés de la queue de peloton. « Chérie, je n’ai plus le choix qu’entre la Polynésie et le Sahara, qu’est-ce que je dois prendre ? » Réponse de la fiancée : « Tu prends le Sahara, c’est plus près, on ne sait jamais ».

Et voilà donc notre lanterne rouge qui se pointe à Papeete, en colère, monté au pétard comme c’est pas permis et buté comme trente-six buffles.

  • Il débarque dans mon bureau pour me déclarer qu’il était arrivé, à Libourne, premier aux épreuves sportives, ce qui est exact, j’ai contrôlé, et qu’aux épreuves écrites, il avait tout pompé sur son voisin, interne de Paris, arrivé troisième au classement, qu’en conséquence, il avait donc été sacqué en sa qualité de patron de l’échelon nantais de l’O.A.S. par l’état-major gaulliste, ces salopards qui avaient livré les fidèles harkis au FLN. Fermez le ban ! En conclusion, il me déclare qu’il n’est pas médecin mais biologiste marin et plongeur, et qu’il refuse catégoriquement d’être employé dans un hôpital, pour que son incompétence reconnue par le CNIORSS de Libourne ne vienne pas mettre la vie des malades en danger. En réalité, il avait confié au capitaine Zittoun qu’il n’avait pas débarqué en Polynésie pour être confiné dans un hôpital pendant que les médecins militaires se la couleraient douce en se réservant les évacuations sanitaires sur la métropole.
  • Que devient-il ?
  • Comme vous le constatez, il va plutôt bien. Il a enfin trouvé sa vitesse de croisière au SMCB, où Nabholtz cherchait un plongeur biologiste. C’était mieux, voyez-vous que de le rapatrier en métropole, mais ça n’a pas été simple. Au mess des officiers, il avait d’emblée adopté un comportement insupportable. Par exemple : une seule conversation. l’Algérie, l’Algérie, l’Algérie !
  • Comment, il était allé en Algérie ?
  • Pensez-vous, il n’y avait jamais mis les pieds mais l’abbé Raoul Jacq, son oncle, le frère de sa mère, aumônier militaire, avait été abattu dans les Aurès en compagnie du commandant Miquel, frère du général. L’affaire avait à l’époque fait du bruit. Tout est peut-être parti de là.

Donc, le soir il débarquait au mess et branchait d’emblée la conversation sur l’Algérie : « Et vous, commandant, vous étiez en poste où ? Et vos harkis, que sont-ils devenus ? Dites-moi, ça doit faire mal de désarmer ces hommes qui vous ont fait confiance pour les abandonner aux mains des assassins du FLN ».

« Et vous, vous étiez à Oran, tiens donc, que pensez-vous du général Katz et des troupes françaises consignées dans leurs casernes pendant qu’on massacrait la population d’Oran ». « La fusillade de la rue d’Isly, ça vous dit quelque chose?» Vous imaginez l’ambiance.

  • Devant nos informateurs discrètement embusqués, X.L., un cinq galons panachés lui avait répondu, tête baissée: « Je suis resté dans l’armée parce que j’avais une femme et cinq enfants à entretenir et que je ne savais rien faire d’autre. »

Suivaient les réunions privées au Fare 306 où l’on entonnait en choeur les louanges du général de Gaulle au son de « C’est nous les Africains… »

  • Tout cela commençait par prendre vilaine tournure. Si on laissait évoluer les choses, ce bougre-là allait foutre la révolution au CEP. Il s’en moquait comme de sa première chemise car il n’avait rien à perdre. L’avancement, vous comprenez, ça ne le concernait pas.

La sécurité militaire était sur les dents. Le commandant Gangloff, un cinq galons panachés, et le capitaine Roche se démenaient place de la Cathédrale. Lélias y avait désormais ses habitudes. Perquisitions, assignation à résidence pendant quinze jours pour cet ancien responsable de l’O.A.S. étudiante qu’il avait créée à Nantes. Effectivement, son dossier était épais comme ça.

Il avait, pour commencer, reçu l’ordre de prendre ses repas seul, sans adresser la parole à aucun militaire, et deux de ses « partisans » venaient d’être virés discrètement en métropole, littéralement escamotés aux aurores, direction Faa’a. Il ne retrouvera la trace de l’un d’ eux qu’en 2019, c’est vous dire.

La S.M. (Sécurité militaire) est ensuite passée aux menaces plus précises :

  • Voici ce que nous allons faire. On va découvrir au Fare 306 des documents top secret que vous auriez subtilisés. Jugement : Vous allez prendre cinq ans de taule et, pendant ces cinq années, Dieu seul sait ce qui peut vous arriver ! De toute manière, ce n’est plus de notre ressort car nous allons vous rapatrier la semaine prochaine sur Chalons-en-Champagne.
  • Et alors ?
  • Alors, il a fini un beau jour par mettre les pouces. Eh oui, que voulez-vous, il était depuis un mois en Océanie. C’était beaucoup plus qu’il n’en fallait pour qu’il n’en tombât follement amoureux.
Tahiti, Paul Gauguin

Seulement voilà, sous la voûte des arbres, dans la pénombre de la forêt de mapés, il y avait un sortilège, un charme qui l’intoxiqua à tout jamais et peu à peu le monde extérieur, là-bas comme il disait alors, perdit sa consistance et sa réalité. Fasciné par ce paradis perdu dont il rêvait depuis son enfance, même le son de sa voix venait se perdre de soir en soir dans le grondement lointain du récif, ce sourd orage continu, sans un éclair.

L’un de ses amis disait : « Le violet du soir sur la mer passe entre mes doigts comme la lourde chevelure mouillée des filles qui viennent de se baigner à la rivière. Et le bleu sombre de la nuit m’émeut comme la senteur capiteuse de ce gardénia de Tahiti, qu’on appelle tiaré, parce qu’il est la fleur entre les fleurs. »

Vous savez, chaque fois qu’un être naît, c’est un monde entier, toute une matrice de tempêtes et d’étoiles, avec ses buissons de fleurs, ses brassées d’algues mouvantes, qui naît et prend peu à peu sa teinte particulière, sa nuance personnelle. Chaque fois qu’un être meurt, c’est son monde entier, avec son soleil, ses étoiles et ses brassées de fleurs qui disparaît à jamais. La disparition de ces mondes est scandaleuse mais plus le monde est riche et coloré, plus le scandale est grand. Alors, faisons un scandale énorme, et que Dieu ait honte.

Le bonhomme ne voulait pas entendre parler de Chalons (En revenant du camp d’Chalons, bringue de zingue, bringue de Zon, j’ai rencontré Marie-Suzon) Vous savez ce qu’on lui a fait ? Gangloff a rédigé une belle lettre rendant hommage à la politique menée par le général de Gaulle, et ils lui ont demandé de la signer. Il s’est incliné et il a signé, peut-être commençait-il déjà ne plus se souvenir de ce que c’était que l’Algérie.

Et puis, un beau jour, sur l’intervention d’une huile (le général d’armée aérienne Thiry pour ne pas le nommer), tout est rentré dans l’ordre et la S.M. a classé le dossier : « Mon pauvre Lélias, calmez-vous, lui avait dit, navré, le général, vous savez bien que les carottes sont cuites ! »

Maintenant, Nabholtz passe son temps à l’expédier en mission e pendant ce temps-là, il a la paix. Je l’ai rencontré lundi.

  • Alors Lélias, encore retour de mission ?
  • Eh oui, commandant j’arrive de Nuku-Hiva. 
  • Encore ! Mais il n’y a pas de contamination là-bas, vous passez votre temps aux Marquises et je suis sûr que vous n’avez jamais mis les pieds à Mururoa ?
  • Non, je n’y tiens pas, je suis allergique à la radioactivité et puis, pour les prélèvements, nous avons là-bas nos gars sur place, les vétérinaires capitaines Desvalls et Boutet.
  • Eh bien, achève Jean Prince, si nous avions là l’homme de la situation ? Il connaît l’archipel, il y a fait la connaissance d’un autre furieux impossible, l’administrateur Marc Perret, et les voilà bien évidemment copains comme cochons. Même dangereux, comme il dit, il est médecin, qu’en pensez-vous ?
  • Intéressant en effet, votre agité du bocal, encore faudrait-il qu’il ait la plaque de vélo ! Allons toujours voir.
  • Bonsoir Lélias, j’espère que vous n’avez pas trop chaud ?
  • Tiens, bonsoir mon colonel. Oui, je sais, mon déguisement est un peu sommaire, mais je n’avais rien d’autre. 
  • Je voudrais vous poser une question : Avez-vous fait du parachutisme ?
  • Je suis membre du club parachutiste de Lorient.
  • Et bingo, s’exclame le médecin-colonel Martin-Sibylle, vous êtes parachutiste et le commandant Prince vient de me dire que vous fréquentez beaucoup les Marquises. Alors, que je vous explique : Nous avons un problème à Nuku-Hiva. Le médecin en charge de l’archipel, vous le connaissez peut-être ?
  • Christian Rehm, je le connais très bien, je logeais chez lui avant que l’administrateur ne me reçoive au Fort Collet, la Résidence.
  • Votre confrère Christian Rehm se trouve en difficulté et nous a adressé un appel. Il s’occupe d’un enfant, le fils d’une huile locale, qui, victime d’une endocardite, présente un état critique. Il nous demande des médicaments et l’assistance d’un confrère. Auriez-vous, au cours de vos randonnées, repéré un endroit qui pourrait faire office de dropping-zone, un endroit susceptible d’accueillir un stick de parachutiste ?
  • Tout à fait, mon colonel. A vue de nez, je pense au plateau de Tovii, la « Terre déserte » si vous préférez-
  • Mais c’est formidable ! Et tant que nous y sommes, en votre qualité de toubib quand même, vous seriez d’accord pour aller vous-même l’y assister ? 

Je me vois encore lui répondre :

  • Bien entendu, si le colonel Nabholtz n’y voit pas d’inconvénient particulier.
  • André Nabholtz, je m’en charge. Eh bien, mon cher Prince, je dirais que voilà une sacrée affaire rondement menée !

Et de me conseiller :

  • Si j’étais vous, je rentrerais tout de suite me coucher. Comme vous êtes déjà en tenue, vous n’avez que votre superbe couronne à enlever. Demain matin, vers cinq heures trente, une voiture passera vous prendre à votre faré pour vous amener à l’aéroport de Faaa, muni d’un minimum d’affaires. Votre faré, c’est ? 
  • Le 306, mon colonel. J’aimerais prendre mon Leica, je ne m’en sépare jamais.
  • Bien entendu, bien entendu, aucune objection, Lélias, merci, merci et dormez bien.

J’allai rapidement prendre congé de mes convoyeuses, Catherine et Joëlle, et pris lentement le chemin de mon faré. La nuit embaumait et toutes les étoiles étaient dehors, il faisait si bon ! Devant le massif de frangipaniers odorants, je tombai sur mon voisin, étendu sur la pelouse, André Genefort, capitaine au GLAM 82, mon compagnon d’escalade, en compagnie duquel je venais de tenter la conquête de l’Orohéna, que nous avions perdue. Je m’étendis auprès de lui, au sein de cette nuit limpide. En fin d’après-midi, la pluie avait lavé le ciel. Mâchonnant des brins d’herbe, nous étions heureux dans cette contemplation sacrée des incomparables constellations australes.

Le monde était silencieux. Nous bavardions de choses lointaines, tout ce que l’on peut dire à la lueur des étoiles quand on est heureux. C’était une de ces nuits bénies ou l’on oublie que l’homme est un étranger de passage sur cette terre, que la vie, l’amitié, la mort n’ont pas plus d’importance que la destinée de ces brins d’herbe que machinalement nous mordions, que la nature n’est ni douce, ni cruelle, qu’elle n’est rien…

A cinq heures trente très précises, une Peugeot stoppait devant mon faré. Quinze minutes plus tard, je débarquais à l’aéroport de Faaa. Un militaire m’y attendait. 

  • Je suis le lieutenant Lacoste. C’est vous, le parachutiste ?
  • C’est moi !
  • Bon ! Que je vous dise tout de suite : nous n’avons pas de Nord-Altas. Je ne peux vous proposer qu’un Bréguet-deux-ponts.
  • Va pour le Bréguet-deux-ponts.
  • Avez-vous déjà sauté en commandé ?
  • Ma foi, non.
  • Je m’en doutais un peu, figurez-vous.

Et de m’expliquer que d’un Nord-Atlas dispose d’une vaste porte donnant sur l’arrière de l’appareil et qu’il est facile de larguer un parachutiste muni d’une S.O.A.(Sangle d’ouverture automatique), tandis qu’avec un Bréguet-deux-ponts, larguer un parachutiste ne peut se faire que par une porte s’ouvrant sur le côté gauche de l’avion, lui faisant courir le risque d’être éventuellement heurté par la queue de l’appareil, l’ouverture du parachute devant être déclenchée manuellement, en commandé, selon l’expression consacrée.

  • Finalement on n’en fait toute une histoire mais ce n’est pas plus difficile, vous allez voir.
  • Si vous le dites !

Et l’appareil décolla pour l’atoll de Hao. Je n’ai gardé que peu de souvenirs de ce voyage aérien, j’avais l’impression d’être dans un état second, incapable de réfléchir, totalement esclave des événements sur lesquels je n’avais plus aucune prise, charrié au sein d’une sorte de « Val sans retour », tel une épave consentante sur un torrent implacable… Je crois que nous avons dû arriver vers 15 heures en vue de Nuku-Hiva.

  • Lieutenant, le pilote va avoir besoin de vous ! 
  • Voici donc Nuku-Hiva, nous apercevons l’entrée de la Baie de Taiohaé bordée par ses deux rochers, les Sentinelles de l’ouest et de l’est. Je pense que vous pouvez survoler la baie avant de prendre la direction nord nord-ouest, droit sur le plateau de Toovii. Très rapidement, nous allons nous trouver en approche du Tokao, le point le plus élevé de l’île, qui culmine à environ mille deux cents mètres, et nous allons virer de bord au-dessus de la baie d’Aakapa et de ses fantastiques tours de château médiéval de basalte.

Mais là, il fallut nous rendre à l’évidence : toute l’étendue le plateau était recouverte d’un épais édredon de cumulo-nimbus rendant l’exploitation impossible. Très contrarié, le pilote me dit :

  • Il y a une seule solution : larguer les colis en baie de Taïohae. Je les préviens de notre arrivée et leur demande de prévoir une vedette. Vous n’avez évidemment jamais sauté en mer, je présume ? Je ne peux donc pas prendre le risque de vous laisser sauter. Donc après le parachutage, nous rentrons tous à Papeete.

Au-dessus de la baie, le ciel est dégagé. J’aperçois la vedette de Marc Perret qui attend près de la Sentinelle de l’est. Quelques clichés au téléobjectif, nous balançons le colis, nous refermons la porte et prenons le chemin du retour. Nous n’avions pas quitté la baie que le pilote m’annonçait le décès de l’enfant enfant, vers midi.

Nous nous sommes posés à l’aéroport de Faa’a, tard dans la nuit.

Le lendemain matin à sept heures, assis à mon bureau, j’étais toujours en proie à une espèce d’état second, une sorte de gueule de bois et n’arrivais pas à organiser la mission du lendemain sur le district de Téahupoo.

Vers neuf heures, on frappa à la porte. C’était mon co-équipier, l’adjudant Morla, un Malgache. « Le colonel désire vous voir », me déclara-t-il, mi-figue, mi-raisin.

  • Eh bien, Lélias, vous ne m’aviez pas dit que vous étiez parachutiste ? Pourquoi ne portez-vous pas votre plaque de vélo ? 
  • C’est à dire, mon colonel, que je suis membre du club parachutiste de Lorient.
  • Bon, bon, et vous avez combien de sauts homologués ? 
  • Aucun pour le moment, mon colonel. J’avais quitté le civil avant le début de la partie pratique. 
  • Bien sûr, bien sûr ! Loin de moi l’idée de vous choquer. Voilà bientôt un an que nous nous connaissons. Je ne pense pas réellement que vous soyez complètement fou, ce n’est pas ce que je veux vous dire, mais ne croyez-vous pas quand même qu’il vous manque quelque chose, je ne sais pas, moi, un petit, un tout petit grain par exemple ?
  • C’est tout à fait probable, mon colonel, mais vous savez, la normalité, chez qui peut-on la découvrir dans toute sa plénitude ? 
  • Bon, nous allons en rester là. Je crois également que vous sous-estimez le service de renseignements en Polynésie. Par exemple, on dit que vous êtes très porté sur les huîtres de chez Madec, au Relecq-Kerhuon. Vous avez encore dû aménager un petit trafic avec un membre influent de l’intendance de Cowan. Voulez-vous que nous dégustions ensemble les prochaines douzaines qui nous arriveront de métropole, si toutefois elles ne sont pas radioactives car, je vous le confie, moi aussi, j’ai un faible pour les huîtres.

En conclusion :

  • Vous savez que nous allons bientôt nous quitter. S’il vous venait à l’idée, comme je le présume, de prolonger votre séjour chez nous, sachez que je porterai à votre dossier un avis très favorable. A plus tard donc, mon cher Lélias, et surtout n’oubliez jamais que vous devez peut-être la vie au décès prématuré d’un enfant des Marquises.

La Sécurité militaire opposa un véto catégorique à la prolongation de mon séjour en Polynésie et le colonel Nabholtz me présenta bientôt le pharmacien-capitaine qui devait me succéder. Ceci est une autre histoire, qui ne manque pas non plus de sel et que je vous conterai bientôt.