5. Miracle, il n’est pas mort

Le 22 juillet 1944, nous sommes à Malinava, en Estonie. Otto Carius et un autre chef de char s’aventurent sous le couvert d’épaisses futaies vers le village qu’ils trouvent occupé par une colonne d’assaut soviétique. Ils décident de le reprendre et retournent chercher leurs blindés. Ils vont mener l’attaque à l’aide de deux chars Tigre, en laissant six autres en couverture sous les ordres du lieutenant Nienstedt. Une seule route mène au village, l’attaque est une réussite. Dix-sept chars russes sont pulvérisés dont six chars lourds Josef Staline. Carius et son équipage en ont détruit dix. Avec deux chars d’assaut, ils ont réussi à colmater la brèche qui pesait sur le front de Vitebsk mais, maintenant, les Russes sont partout et les Allemands en cuisante infériorité numérique.

Le 24 juillet, Otto Carius effectue une reconnaissance sur une route entre Riga et le village de Rosa Luxembourg. Il tombe dans une embuscade tendue par une compagnie d’éclaireurs soviétiques. Le side-car criblé de balles, Carius et son chauffeur partent en courant vers un bois voisin. Le chauffeur fuit à toutes jambes mais Carius l’asthmatique, le souffle court, est vite rattrapé par les fantassins soviétiques. Il prend cinq balles dans le dos, dont une dans la cuisse qui le fait tomber face contre terre. Il perd connaissance. L’un de ses poursuivants parvient à sa hauteur et, par acquis de conscience, l’achève d’une sixième balle dans la nuque puis il prend la fuite car cinq chars allemands viennent de surgir.

Un médecin se trouve à bord de l’un d’entre eux. De loin, il a assisté à la scène. Il se précipite au secours du lieutenant Carius. Bien sûr, le commandant de char est salement amoché mais, miracle, il n’est pas mort. Les tankistes le prennent avec d’infinies précautions et le ramènent dans un hôpital de campagne d’où il sera rapatrié en Allemagne.

Cet homme pourtant chétif va survivre et l’épopée se poursuivre. Cependant, ses blessures sont si graves qu’il ne sortira de l’hôpital qu’en janvier 1945. Va-t-il rentrer chez lui en convalescence ? Non ! Il sait que la guerre est perdue mais se souvient de ce volontaire étranger, un jeune métallo parisien de la division « Charlemagne » qui, devant son char, avait eu un bras arraché et le ventre ouvert. Il avait exigé qu’on l’adossât, ainsi déchiqueté, à une meule de paille : « Je veux finir debout, en regardant se battre les copains ! », avait-il dit-simplement.

Désormais, Otto Carius va combattre à l’ouest. Le pont de Remagen est tombé intact aux mains des Américains. Il prend le commandement de la troisième compagnie d’assaut et dispose de trente chars Tigre, les derniers sortis des usines Niebelungen. Pour lui, ce serait un travail facile, sans l’aviation alliée qui a maintenant la maîtrise du ciel.  Le lieutenant Carius estime en effet que « cinq Russes sont plus dangereux que trente Américains» (sic). Les Américains, il ne prendra conscience de leur dangerosité que lorsqu’il sera leur prisonnier. « Avec deux ou trois commandants et équipages de ma compagnie en Russie, nous aurions pu accueillir l’ennemi avec un joli feu d’artifice», dit-il, moqueur. Mais la fête continue. Le 11 avril, à peine moins d’un mois avant l’arrêt des combats, il va encore, en une seule journée, anéantir quinze chars alliés à Unna.  Entre temps, il est parti pour Berlin en quête d’équipages expérimentés.

Prochain chapitre: Berlin 1945