Otto, un pharmacien blindé

14 avril 2011, Herschweiler-Petersheim (Rhénanie-Palatinat), neuf heures du matin, grande salle à manger de l’auberge zum Hirschen.

Hier, sur les conseils de Klaus Drumm, maire de Herschweiler-Petersheim, et de son adjoint Rüdiger Becker, Axel et moi avons entrepris l’ascension du Hühnerkopf qui domine le village et la haute vallée de l’Ohmbach. Ce matin, le patron de l’hôtel en personne m’apporte le petit déjeuner.  

  • Eh bien dites donc ! Vous étiez en forme hier soir ! Avez-vous trouvé la pharmacie ? 
  • Oui, celle que vous nous aviez indiquée, la « Pharmacie du Lion ». C’est d’ailleurs assez extraordinaire de trouver dans un petit village une pharmacie ouverte à 22 heures, pharmacie vraiment insolite, tenue par un pharmacien tellement hors d’âge.
  • Je voulais y venir, justement, pour vous demander ce que votre ami en avait pensé.
  • Il n’a fait que l’entrevoir, car à peine étions-nous entrés dans la pharmacie que son téléphone portable sonnait. Il est donc sorti et n’est donc pas resté une minute dans l’officine. Il m’avait simplement manifesté son étonnement devant le nom de la boutique, « Pharmacie du Lion ». Voilà qui est singulier, n’est-ce pas ?
  • Excusez-moi. Vous faites erreur. Ce n’est pas la pharmacie du Lion mais la pharmacie du Tigre.
  • Vous voulez dire qu’il est spécialisé dans la pharmacopée extrême-orientale. Le baume du Tigre, par exemple ?

Le patron adopte une mine atterrée, il prend une chaise et s’assied face à moi.

  • Je vois que vous êtes totalement hors sujet. Racontez-moi votre visite à la pharmacie et ensuite, je vous expliquerai.
  • Eh bien voici. Il y avait de la lumière, une drôle de lumière verdâtre. A tout hasard, j’ai sonné. La porte s’est ouverte sur un très vieil homme qui paraissait marcher avec difficulté. Il portait une chemise à carreaux bleus sous une ample blouse blanche. Le pharmacien lui-même ! Il me regardait avec un demi-sourire, bienveillant certes mais avec quelque chose de malicieux, d’ironique, de narquois. Il s’est avancé derrière son bureau en attendant de savoir ce que nous désirions. Un peu voûté, sa main droite tremblait légèrement et sa voix, assez difficilement perceptible, restait voilée.

Il émanait de cet étrange individu comme une impression générale de calme, de sérénité souriante, bienveillante mais si lointaine, à vous en donner le vertige. Et pourtant, en l’examinant bien dans les yeux, j’ai soudain cru découvrir quelque chose d’insolite, de presque inquiétant, comme l’émanation d’une force obscure, d’une fantastique puissance inattendue et contenue.

En réalité, il était trop beau pour être vrai. Trop exact dans son rôle si bien léché. Il y avait autre chose derrière son regard moqueur. Mais quoi donc ?

Chapitre suivant: contes d’apothicaire…