Le Glacier, cabré de toute sa noblesse

Envoûtante et forte, cette nouvelle vision d’un Dieu, si intensément vécue au Ventisquero Perito Moreno !

Il y était formellement interdit de franchir les clôtures qui fermaient l’accès au plus prestigieux de tous les glaciers du monde, enregistré comme tel au patrimoine mondial de l’humanité. Nous dûmes nous armer de patience et guetter l’heure espérée où les gardes du parc iraient se restaurer, pour sauter discrètement la balustrade et dévaler la pente des taillis incandescents d’embothrium pourpres qui, sur une centaine de mètres, nous séparait d’une épaisse forêt de hêtres antarctiques. Le couvert protecteur d’un étrange sous-bois dissimula notre escapade. Et soudain l’Esprit du Lieu, qui rêvait séculairement sous les Arbres, s’empara de nous.

A l’aube du dernier jour de l’inégal combat qui les opposait aux Immortels de Xerxès l’Achemenide et de Mardonios, son stratège, Leonidas venait d’apprendre la trahison d’Epialthès qui allait permettre aux assaillants innombrables de le prendre à revers. Il frappa de sa cravache ses cnémides ensanglantées et cria à ses trois cents Hoplites : « Finissez tous vos victuailles, car ce soir, nous dînerons chez Hades ! »

Mais nous, ce jour-là, le Destin nous invitait au banquet du fils de Kronos et de Rhéa !

Au fur et à mesure de notre progression qui s’opérait dans le plus profond silence, parfois seulement troublé par un sourd et lointain roulement de tonnerre, une insolite et fantomatique lueur blanche, de minute en minute plus éblouissante et radieuse, s’insinuait sous la futaie, en marée montante d’apothéose.

C’était comme si une improbable Lune venait à disperser devant nous ses froids rayons.

Sitôt atteinte, la lisière nous révéla son mystère : le Glacier !

Il se dressait là, devant nous, cabré de toute sa noblesse, quatre-vingts mètres de puissance contenue, qui nous surplombaient avec orgueil ! Eclatant d’une aveuglante blancheur ! Gigantesque paroi de neige aux reflets bleutés, dramatiquement hérissé de pics, d’aiguilles, de séracs, il avançait, grondant et craquant, au rythme de pans entiers de glace de la moraine frontale, qui s’effondraient dans les eaux turquoise du lago Argentino.

D’énormes vagues de mascaret naissaient alors, fonçaient vers nous et balayaient les rives en redoutables déferlantes qui venaient mourir à nos pieds. Tout l’Olympe du grand Sud argentin nous écrasait en Majesté ! Il nous fixait, impassible, figé, énigmatique mais si follement présent que, derrière ce fantastique rempart de glace, il nous semblait entendre battre un rythme régulier puissant et sourd, une cadence impressionnante et solennelle venue d’un univers si lointain. Les pulsations souterraines d’un gigantesque cœur !

Aujourd’hui encore, par-delà les années, j’entends ton invocation au glacier Perito Moreno qui vient enchanter mon souvenir : « Seigneur ! Pardonne-moi trois pêchés qui montrent que je ne suis qu’un Homme ! Tu es partout ! Mais c’est ici que je t’adore ! Tu n’as pas de forme ! Mais je t’adore au travers de ces Formes ! Tu n’as besoin d’aucune louange ! Accepte cependant que je t’offre cette prière et ce Salut. »

Raoul Lélias

Dans Arles, où sont les Aliscamps,

Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.

Lorsque tu sens battre sans cause

Ton coeur trop lourd ;

Et que se taisent les colombes :

Parle tout bas, si c’est d’amour,

Au bord des tombes.

En Arles / Jean-Paul Toulet

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