* Annexe: Hans Ulrich Rüdel

Le colonel Hans Ulrich Rüdel fut sans doute le plus valeureux aviateur du XXème siècle. Né le 2 juillet 1916, disparu le 18 décembre 1982 à Rosenheim (Allemagne), ce combattant a placé la barre très haut, en profitant d’une chance impossible à imaginer. Il est infiniment probable que ses exploits ne seront jamais dépassés.

Songez : Il a mené plus de 2530 missions de combat et mis à son crédit la destruction de plus de 2000 cibles terrestres, maritimes ou aériennes. Il a été abattu trente-deux fois derrière les lignes ennemies. Trente-deux fois il est parvenu à s’échapper, une fois en traversant en hiver, à la nage, le Dniepr demi-gelé. Il a causé aux troupes alliées plus de dommages qu’une armée tout entière. D’ailleurs, fait sans précédent, Staline mettra dès 1943 sa tête à prix : 100.000 roubles.                       

Le cuirassé Marat

Le 15 septembre 1941, le Marat, cuirassé soviétique de la flotte de la Baltique, 23.000 tonnes, tire force obus sur les troupes allemandes encerclant Léningrad et leur inflige d’intolérables dommages. L’escadrille du capitaine Steen est chargée d’attaquer le cuirassé. L’offensive aérienne se déclenche à l’aurore.Très vite, le cuirassé est repéré évoluant dans le golfe de Finlande. Le Stuka du capitaine Steen plonge sur sa cible mais il va manquer son objectif.  Rüdel, lui, pique généralement trop bas, pour être sûr de ne pas rater son but mais, ce faisant, il se met délibérément en danger de sauter avec son objectif, frappé par l’énorme bombe qu’il lance sur l’ennemi. Qu’importe, il joue et gagne. Sa bombe de 500 kilos vient exploser contre la poupe du bâtiment, qui est endommagé, touché peut-être mais pas coulé.

Le 23 septembre 1941 un avion de reconnaissance repère le Marat en réparation dans le port de Cronstadt, la plus grande base navale de l’Union Soviétique, défendue par plus de mille canons, à terre et embarqués. Le Marat, qui grouille de marins et de réparateurs, paraît sur le point de reprendre la mer. L’escadrille Steen va repartir à l’attaque mais, sous l’avion de Rüdel, une super-bombe d’une tonne, arrimée à un système assez archaïque de catapulte basculante, située sous le fuselage du Stuka que le pilote libère du pied droit, vient d’être installée.

Avant de décoller, le lieutenant Rüdel déclare : « Je vais le frapper et, cette fois, si je ne parviens pas à l’expédier par le fond, je suis un homme mort ». Ernst Siegfried Steen, le chef d’escadrille, beau comme un dieu, de commenter : « Rüdel est le meilleur élément de mon équipe mais il est fou. Et ce fou aura une vie courte ! ».

Ils arrivent au-dessus de Cronstadt mais les tirs de D.C.A. sont si denses que Steen réduit brusquement sa vitesse. Rüdel, qui vole en arrière sur sa droite, incapable de réduire la sienne, passe si près de l’appareil du capitaine qu’il voit son mitrailleur arrière, Helmuth Lehmann, regardant terrifié l’avion du lieutenant qui va les percuter

Le choc est évité in extremis. Maintenant, donnons la parole à Hans-Ulrich Rüdel :  Cette mission a été terrible. Il y avait des explosions de tous les côtés, le ciel paraissait être plein de graviers (sic), je me sentais très mal et le vol était une véritable torture. J’ai effectué un piqué sous un angle de 70 à 80 degrés, qui m’a coupé le souffle. J’avais le Marat dans mon viseur, qui s’approchait de plus en plus rapidement. Le navire devenait toujours plus grand. Le tir des armes antiaériennes s’avérait de plus en plus menaçant pour moi

Je n’avais pas le temps de m’inquiéter des conséquences d’un éventuel coup direct sur mon avion, de la part de la Flak qui pouvait réduire mon appareil en mille morceaux. Le Marat remplissait déjà complètement mon viseur. Les marins couraient en tous sens sur le pont du navire, quelques-uns chargés de munitions.

L’un des canons anti-aériens a tourné dans ma direction et commencé à tirer. A ce moment précis, j’ai pressé du pied droit le bouton qui libérait la bombe et j’ai tiré le manche en arrière de toute ma force, afin de sortir de mon piqué, ne commençant à redresser l’appareil qu’à 300 mètres du sol.

La bombe d’une tonne qu’il venait de libérer ne pouvait pas, normalement, être lancée depuis une altitude inférieure à 1000 mètres sans prendre le risque de faire également exploser le bombardier qui la lançait mais je voulais être sûr d’atteindre le Marat. Malgré la pression exercée sur le manche, j’avais la sensation que l’avion ne m’obéissait plus. J’étais sur le point de perdre conscience. J’éprouvais une sensation d’écrasement insupportable de la tête et du ventre lorsque j’entendis soudain le cri enthousiaste de mon mitrailleur Alfred Scharnowsky : « Herr Oberleutnant ! Le navire vient d’exploser ! » Je me suis retourné, très lentement. Le Marat était entouré d’un impressionnant nuage de fumée noire, impénétrable, qui montait à 400 mètres.

Lorsqu’il parvint à redresser l’appareil, sortant de son piqué, le lieutenant Rüdel ne se trouvait plus qu’à quatre mètres de la surface de la mer !  « Ce n’est qu’à cet instant que j’ai réalisé que nous étions encore vivants ! »

Alfred Scharnowsky, le sergent mitrailleur qui accompagnait le lieutenant Rüdel, treizième enfant d’une humble famille de Prusse orientale, avait la réputation de ne pas avoir de chance. D’un naturel taciturne, il n’avait montré qu’une seule fois de l’enthousiasme : lorsque son lieutenant avait, avec une précision chirurgicale, placé sa bombe d’une tonne, à basse altitude, dans la réserve de munitions du cuirassé, le coupant pratiquement en deux.

Dans le port de Cronstadt, le Marat était ancré à couple avec le croiseur lourd Kirov. Au soir du 23 septembre 1941, Ernst Siegfried Steen décida de le couler. « Puis-je me permettre de vous emprunter votre mitrailleur, lieutenant ? » demanda-t-il à Rüdel, qui venait de rentrer de sa glorieuse mission.  

Et c’est ainsi que le brillant et si beau capitaine de l’escadrille Max Immelmann, avec Ernst Siegfried Steen accompagné du sergent malchanceux Alfred Scharnowsky, partit vers son destin au soleil couchant. A son tour, il fonça en piqué sur le croiseur Kirov mais, frappés de plein fouet par la défense anti-aérienne. Les deux hommes disparurent dans le golfe de Finlande. Le bruit a couru, à l’époque, que Jean Mermoz en personne était venu les attendre. Mais peut-être n’était ce qu’une rumeur comme il en circule tellement en ces âges d’airain.

« Quelle chance ils ont eue de mourir à une époque où on pouvait encore croire en la victoire ! » déclara plus tard Hans Ulrich Rüdel.

Raoul Lélias

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