Marc Perret

Marc Perret (au centre), administrateur des Marquises

Marc Perret

J’ai connu Marc Perret en 1967, au Marquises. En provenance de Muruora, un bâtiment militaire m’avait déposé pour quelques jours sur l’île de Nuku-Hiva, où Marc Perret officiait comme administrateur territorial. Je devais repartir quelques jours plus tard pour Papeete, à bord d’un autre bateau militaire. Cette brève escale nous permit d’ébaucher une belle amitié, qui ne s’est terminée qu’avec sa disparition, bien des années plus tard.

Entre-temps, Marc Perret avait été administrateur, à Port-Vila, d’un territoire appelé à quitter bientôt le giron de la France: les Nouvelles-Hébrides. Sachant que j’était rentré en France, Marc Perret m’adressa une très belle lettre, dans laquelle il me rappelait notre amitié et me suggérait de le rejoindre en tant que médecin militaire.

Nouvelles-Hébrides, le 27 mars 1972

Mon cher Raoul ,

Mon Dieu ! Quel plaisir vous m’avez fait en m’adressant votre thèse qui est arrivée ici voici quelques jours .

Il faut croire qu’il existe, dans le temps, des conjonctions d’éloignements et de rapprochements physiques. Par la pensée nous ne vous avions pas oublié, ma femme et moi , mais nous vous imaginions vagabond, non pas oublieux , mais trop vivant pour avoir le loisir matériel de nous écrire. Je vous avais, voici bien longtemps, écrit à Pont-Croix, et votre silence, peut-être ma lettre n’est-elle jamais parvenue, nous avait fait placer cette amitié dans le rayon délicieux, quoiqu’un peu fragile, des songes à demi vécus .

Or, voici un mois, nous arrive ici, aux Hébrides, votre compatriote Patrice de Carfort, que j’avais bien connu en 1956 aux Marquises, pour lesquelles il ne partage absolument pas votre vénération.

Il m’a donné de vos nouvelles et, avec son talent de faux distrait, m’a sorti quelques phrases peu claires !

  • Oui … Lélias … Il m’a parlé de soirées roses … de ballets roses … à Taiohaé… Curieux … Ah … Oui, il aimait bien ce coin… Oui , bizarre … »

Tout cela sans me parler de votre *** thèse, me disant seulement que vous étiez toujours à Pont-Croix avec de longues errances de temps à autre et une épouse sensationnellement ravissante …

C’étaient déjà de bonnes nouvelle et voici que quinze jours plus tard , je reçois votre envoi. C’est une trop grande gentillesse d’avoir évoqué parmi les tout premiers de vos amis, mon nom , et les trop rares soirées de Taïohaé, mais je l’accepte avec la même franchise qui a présidé à notre rencontre .

Le choix de votre exergue de Reverzy, ces cinq lignes qui disent si parfaitement l’atmosphère des Vallées et des plateaux marquisiens, m’a profondément remué , non pas que j’aie oublié quoique ce soit. Les Marquises sont toujours aussi présentes à mon esprit et à mon cœur ; mais parce qu’il est émouvant de partager de façon quasi parfaite… Ou parfaite , un sentiment relativement complexe, tel celui qu’expriment les mots de Reverzy : « Paysages désuets et funèbres », « Silence compact », « Bruit violent de la mer », « Agitation d’une race discrète aux éclats vite étouffés »…

Je crois vous avoir dit que j’avais écrit un certain nombre de pages là-dessus déjà en 1960-62. J’ai continué(Hélas à intervalles fort éloignés), à travailler pour mon plaisir à cette fresque romanesque de ma vie polynésienne et , avec mon ami Walther Bonatti ( L’alpiniste que vous connaissez peut-être), qui revenu aux marquises en 1969, partage avec vous et moi cette passion et ce sérieux de cœur, vous êtes, tous deux, fondus dans mon livre, pour incarner un peintre qui, comme vous et Bonatti, débarque un jour aux Marquises, les aime, se lie d’amitié avec moi , et catalyse une longue confidence.

Ce personnage, dans mes cahiers, s’appelle parfois Laliès, parfois Walther. Peu importe son nom final – qu’il n’aura peut-être jamais – il est VOUS !

Je suis un peu bavard et impudique de vous dire tout cela, mais je crois que je peux le faire. J’espère que j’aurai le temps et le courage d’écrire un peu mieux cette histoire. Et peut-être votre amitié « réanimée » m’y aidera t’elle.

Ici, je me suis arrêté quelques jours, après avoir hésité à vous recopier quelques pages de mon « livre ». Je ne le fais pas, par un mélange de paresse et d’entêtement à croire que je pourrais un jour offrir ce livre, achevé, à ceux que j’ai vraiment aimés .

Mais il faut aussi que je ne tarde pas trop à vous poster cette lettre qui, comme mon livre, pourrait être encore sur l’écritoire dix ans après avoir été commencée.

Je vous signale – tout à fait en l’air et sans savoir quels sont vos projets – qu’il y aura ici un poste budgétaire de médecin-capitaine (ou contractuel , assimilé à ce grade), libre vers juillet. Il est tenu par un médecin V.A.T. qui voudrait prolonger es qualité de contractuel.

Je n’y suis pas favorable. En fait, cela dépend surtout de ce cher de Carfort, dont vous connaissez sans doute l’esprit de contradiction. Il suffirait que je lui suggère quelque chose pour qu’il fasse le contraire.

Si, par hasard, cela vous intéressait et si vous entretenez avec de Carfort des rapports suffisamment cordiaux, vous pourriez postuler. Ce serait un poste itinérant avec point fixe à Port-Vila. Tout cela est, je le répète, une indication qui ne doit faire en aucun cas pression sur qui ou quoi que ce soit.

J’ai déjà gâté une amitié avec un problème identique et suis devenu très méfiant à ce sujet mais vous revoir durablement ici, dans notre Pacifique, nous ferait tellement plaisir que je vous en parle sans insister.

Tâchez de vous efforcer à nous répondre.

Croyez à ma vive et fidèle amitié .

Marc

*** Ma thèse de doctorat, L’ichtyosarcotoxicose en Polynésie française avait été dédiée «A mon Ami Marc Perret, administrateur de l’Archipel des îles Marquises, en souvenir de nos inoubliables soirées violettes de Taiohe, où nous avons communié dans notre passion réciproque des Mers du Sud».

J’avais déjà épousé Martine lorsque j’ai reçu cette lettre. Je ne suis donc jamais parti pour Port-Vila et c’est sans doute tant mieux. D’abord parce que, quelques années plus tard, ce condominium franco-britannique allait devenir indépendant sous le nom de Vanuatu. Ensuite parce que Marc Perret, d’un caractère souvent rugueux, ne serait sans doute pas resté longtemps sur place puisqu’à l’occasion d’une visite ministérielle, il avait cru bon de gifler le secrétaire d’Etat aux Départements et Territoires d’outre mer, Olivier Stirn.

Mis à la retraite anticipée, Marc Perret était reparti pour les Marquises. C’est là que Martine et moi l’avons retrouvé, accueillis comme des rois dans sa propre maison. Hélas, plusieurs drames familiaux ont ensuite endeuillé son existence et Marc Perret y a perdu l’espérance et la vie.