Croire, c’est connaître avec ses tripes

Nos idées s’apparentent aux croyances irrationnelles qui s’ancrent dans nos mémoires, imprimées à jamais par un facteur primordial, considérable. Je proclame : «L’émotion». On sent tout simplement qu’elles sont vraies. Croire, c’est connaître avec ses tripes. Il ne faut jamais négocier ses passions. Une fois que l’on essaye de négocier ses passions, on est perdu !

Pas de tièdes, jamais de tièdes, le Christ ne disait-il pas : «Les tièdes, je les vomirai de ma bouche»! Et pourtant ! On est tellement tenté de considérer que l’équipement originel de l’Homme comporte une quelconque erreur qui le prédispose irrévocablement à une autodestruction certaine. Oui ! Quelle découverte troublante et sagace, quand-même, que celle du «péché originel» évoqué par la religion catholique!

Voyez-vous, la pensée attristante, ce n’est pas la mort, c’est la certitude de n’y parvenir que dégradés. Peut-être même cette honte, réservée à nos descendants, nous pourrait-elle laisser insensibles si nous n ‘éprouvions, par une secrète horreur, que les mains rapaces de la destinée sont déjà posées sur nous.

Baden-Baden ! Nous raffolons de ses cafés, où l’hiver, blafard et sans yeux, tâtonne à coups de neige. «Herr Ober» apporte aux terrasses force couvertures de cashmere et épaisses peaux de mouton pour vous rendre supportable la délicieuse fraîcheur de la nuit qui, paupières baissées, approche à pas de loup.

Baden-Baden est une petite cité noyée dans la verdure. Parée au printemps allemand de ses éblouissants tapis d’ancolies et de colchiques. Elles jaillissent et se bousculent sous les frondaisons d’arbres multi séculaires, importées de toutes les forêts du monde au cours des siècles passés dans ses brumes humides estompant les lointains.

Baden-Baden est aussi, il va sans dire, une petite cité fabuleusement riche. Le grand Hôtel Brenner, par exemple, possède une opulente flotte de Mercedes à sa marque, de facture quasi exclusive. Vous savez, ici, la voiture standard, c’est la Porsche Carrera qui montre son museau dédaigneux et intemporel au détour de chaque avenue. Il nous arrive même souvent de croiser, la nuit, des Ferrari somptueuses garées au petit bonheur, dans de modestes rues obscures.

Baden-Baden vous offre encore le privilège de pouvoir vous réfugier, ne serait- ce qu’un instant, dans la ténébreuse et mélancolique volupté des siècles qui ne sont plus. Ici, véritablement, les natures mortes deviennent à nouveau vivantes. Ici, l’odeur et « le suc des fruits tombés en ce temps-là », qu’évoque un poème de Pavese, où tout le mystère du lointain, du proche lointain, est touché, retrouvent leur saveur et leur fragrance depuis longtemps éteintes. Chère, si chère, adorable petite cité de Baden-Baden !

Havre énigmatique et méconnu de l’Homme égaré qui ne sait où il va et qui meurt de soif à côté de la fontaine. Triste petite cité des ombres où, en ce temps-là, un train d’amour régnait.

«Et Jehanne, la bonne Lorraine, qu’Anglois brûlèrent à Rouen. Où sont-ils, où, Vierge souveraine ? Mais où sont les neiges d’antan ?» (François Villon)

«Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes, viendra ranimer, fidèle et joyeux, les miroirs ternis et les flammes mortes». (Charles Baudelaire)

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