Mon père, médecin accoucheur à moto…

Le phare du Millier, photo Ronan Follic

Connaissez-vous le phare du Millier ? A deux pas de Beuzec-Cap Sizun, il est l’un des rares phares « en terre » mais le fait de n’être pas prisonnier de l’océan ne le rendait guère plus accessible, du moins à l’époque. En 1943, c’est à moto que mon père, médecin à Pont-Croix, y fut appelé pour un accouchement des parents Malgorn, en charge du phare.

Cet épisode fut relaté bien longtemenps plus tard, en 1968, dans un article de presse que je viens de retrouver au fond d’un carton. Je ne résiste pas à le partager avec vous…

Le document original n’étant guère lisible, je vous en livre ci-dessous la transcription qui, au-delà de l’aventure de mon père, rappelle quelle fut la condition des gardiens de phares avant leur automatisation.

Bernard Malgorn prend sa retraite

On ne s’improvise pas gardien de phare. Les vocations naissent et se développent le plus souvent dans les îles. Ainsi, un sur dix, ou plus précisément 33 gardiens sur les 330 qui sont en France, proviennent d’Ouessant, et parmi eux Bernard Malgorn qui, demain, quittera à regret son poste du Millier où, depuis 23 ans moins sept nuits, il veille sur la baie de Douarnenez.

Il y était venu en novembre 1945 et s’intégra tout de suite au paysage, l’un des plus beaux qui soient sur cette côte privilégiée. La ferme la plus proche est à un quart d’heure de marche par un sentier naguère étroit, boueux, malaisé, aujourd’hui devenu, par les soins des Ponts et Chaussées, un petit boulevard déroulant son macadam dans un cadre d’une beauté intacte.

Trente-neuf ans auparavant, un 22 janvier, il montait pour la première fois, en tant qu’auxiliaire, à la Jument, devant Lampaul. Radio-télégraphiste dans la marine, il entrait dans une carrière qu’il allait honorer par sa conscience, son comportement, son dévouement à toute épreuve, et mériter la médaille d’honneur des Travaux publics qui lui fut décernée pour ses bons et loyaux services.

Armen deux fois à terre pendant un hiver

C’est à Armen qu’il devint titulaire. Il passe deux ans. Il garde le meilleur souvenir de Sein où il logeait au Grand Monarque. « J’ai été adopté d’emblée par les Iliens. Ils ne galvaudent pas leur amitié, croyez-moi. Ou ils vous prennent avec eux ou, si vous ne leur convenez pas, si vous voulez jouer au fier à bras, ils vous rejettent définitivement. J’étais heureux de me trouver parmi eux, pareil à eux, et le poisson qu’ils m’offraient gentiment ne m’a pas manqué ».

A Armen, la vie était rude. Pendant un hiver, il n’a pu descendre que deux fois à terre, à cause de la tempête. II était resté là-haut – une première fois 57 jours – avant de pouvoir être relevé, avait passé huit jours chez lui et était reparti – pour 53 jours d’affilée, dans l’isolement terrible et moite, et les vagues qui déferlaient par-dessus la lanterne.

Il remue les souvenirs où les noms de Jean-Marie Vieux, de Jean-Yvon Le Gall, de Jean-Guillaume Normand, de Germain Carval, de Guillaume Lasbleiz reviennent souvent…

Puis ce furent les Pierres Noires, pendant deux ans. Ensuite, dix ans la Jument, chez lui.

La Jument : peut-être pire qu’Armen

II est, entre gardiens, une question sans cesse remise en cause : la Jument est-elle pire qu’Armen ?

Moins habitable ? L’un ou l’autre ? « Armen, m’explique-t-il en parfaite connaissance de cause, n’est assurément pas le paradis. En raison surtout de son isolement. La Jument est plus près de la terre, ce qui semble plus rassurant. Les lames par-dessus les deux. Mais la Jument bouge davantage. Elle oscille à chaque coup de boutoir. C’est très impressionnant ».

Sa fille née au Millier

S’il n’est pas sur l’eau, le Millier n’en est pas moins isolé. « Quand nous sommes arrivés, dit Mme Malgorn, née Nicole Malgorn – les Malgorn sont à Ouessant ce que sont les Guilcher et Fouquet à Sein, les Kervella à Plougastel-Daoulas – nous sortions des longues et pénibles restrictions de la guerre dans une île. Ma fille Nicole avait 3 ans. Elle a goûté ici les premiers fruits, des pommes, des nèfles, que nous n’avions qu’à cueillir. Cela nous changeait. Nous nous sommes plu d’emblée.

Auxiliaire du service et donc de son mari, elle devait mettre au monde une seconde fille, Jeanne- Marie, en février 1946, dans la petite maison blanche qui n’avait jamais connu pareil événement. Le docteur Lélias était venu – à moto – de Pont-Croix, la nuit, dans la boue et le vent, et avait dû rester jusqu’au matin.

Jeanne-Marie, ainsi que Nicole, son aînée, sont devenues par la grâce du mariage Mmes Sergent et Hascoët, elles vivent non loin de là.

« Nous les conduisons à l’école à Beuzec sur le porte-bagages de nos vélos, rappelle le gardien vigiIant et père de famille. Et ce n’était pas drôle, certains matins… »

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Un autre article sur la vie des gardient de phares…

Noël Fouquet, assiégé pendant 101 jours dans le phare de La Vieille

Lire ici l’article de l’ami Alex Décotte consacré à la mésaventure de Noël Fouquet, gardien de phare embastillé après 101 jours passés au sommet du phare de La Vieille, assiégé par la tempête: « Pleins phares »