4. Voyage au bout de la nuit

« La guerra é un ossessione dei vecchi che mandano e giovani à combatteria ». La guerre est une obsession de vieux qui demandent aux jeunes de la faire.

Comment résister au plaisir de vous communiquer quelques fragments de l’œuvre la plus éblouissante del mundo !

« La Guerre ! Une fois qu’on y est, on y est bien. Tout au loin, sur la chaussée, il y avait deux points noirs, au milieu comme nous mais c’était deux Allemands, bien occupés à tirer depuis un bon quart d’heure. Lui, notre colonel, savait peut-être pourquoi ces deux gens-là tiraient. Les Allemands aussi, peut-être qu’ils savaient. Mais moi, vraiment, je savais pas ! Mes sentiments toujours n’avaient pas changé à l’égard des Allemands. J’avais envie de comprendre leur brutalité mais plus encore, j’avais envie de m’en aller, énormément, absolument, tellement tout cela m’apparaissait soudain comme l’effet d’une formidable erreur.

 « Dans une histoire pareille, il n’y a rien à faire, il n’y a qu’à foutre le camp », que je me disais après tout …

Au-dessus de nos têtes, à deux millimètres, à un millimètre peut être des tempes, venaient vibrer l’un derrière l’autre ces longs fils d’acier tentants que tracent les balles qui veulent vous tuer, dans l’air chaud de l’été.

Ces Allemands, accroupis sur la route tiraient mal, mais ils semblaient avoir des balles à revendre, des pleins magasins sans doute. La guerre décidément n’était pas terminée ! Notre colonel, il faut le dire, manifestait une bravoure stupéfiante ! Il se promenait au beau milieu de la chaussée et puis de long en large parmi les trajectoires aussi simplement que s’il avait attendu un ami sur le quai de la gare, un peu impatient seulement.

Moi, d’abord, la campagne, faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la sentir, je l’ai toujours trouvée triste, avec ses bourbiers qui n’en finissent pas , ses maisons où les gens n’y sont jamais et ses chemins qui ne vont nulle part . Mais quand on y ajoute la guerre en plus, c’est à pas y tenir.

Le colonel, c’était donc un monstre !  A présent, j’en étais assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son trépas !

Je conçus en même temps qu’il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant dans l’armée d’en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut être en tout ? Dès lors, ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment… Pourquoi s’arrêteraient-ils ? Jamais je n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.

Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? Pensais-je. Et avec quel effroi !  Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la Terre, comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que des chiens, adorant leur rage, cent, mille fois plus enragés que mille chiens … Et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique !

On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter, moi, de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir, avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des Hommes ? A présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le Feu… ça venait des profondeurs et c’était arrivé ! ».

Chapitre suivant…