Avec Bernard à Palenque

Bernard, mon vieil ami Bernard est mort ce matin en cueillant des roses dans son jardin. Cette mort est survenue de manière si soudaine qu’elle lui a évité désespoir et inutile souffrance

Cher Bernard, comment cette amitié de plus d’un demi-siècle a-t-elle pu germer, se développer et se maintenir tout au long de ces merveilleuses années ? Je crois que je le sais, moi.

C’est Alberto qui m’a fait craquer, Alberto, cet homme au destin extraordinaire avait scellé notre groupe pour la vie, jusqu’à ce jardin de roses au soleil levant, et l’ombre qui guette, sournoise derrière un massif de rhododendrons.

Bernard, Alberto et Raoul, c’était un peu Le Chevalier, la Mort et le Diable d’Albrecht Dürer, et surtout et, surtout, ne commencez pas à chercher qui est qui.

Au commencement, Bernard avait, rue Tanguy Malmanche, invité Raoul à dîner. Comment aurait-il pu imaginer le risque qu’il prenait là : inviter sous son toit une espèce de frénétique tout secoué de passions variées.

Par exemple, l’une d’entre elles s’était emparée de lui après la lecture d’un vieux bouquin, paru dans les années 40, dont Hergé, dans l’Oreille cassée avait également fait son miel: « A la recherche de Fawcett », disparu en compagnie de Raleigt Rimmel dans la forêt amazonienne. Et, ce soir, cette passion pour l’Amérique précolombienne, généreusement arrosée de champagne le portait à l’acmé de sa fièvre, qu’il entretenait depuis l’âge de quinze ans.

Percy Fawcett, disparu en 1925 lors de fouilles dans la forêt amazonienne pour tenter de localiser la « Cité de Z ».

Le monde précolombien, ces fabuleuses civilisations épanouies au sein d’un continent inconnu ! Quelles étaient ces populations, au sein des jungles perdues au calme solennel, uniquement troublé par les bousculades de singes, le caquetage des perroquets et le feulement du jaguar au crépuscule ? Tout cela suscitait la curiosité la plus grande que j’aie jamais éprouvée parmi les ruines d’Egypte, de Mésopotamie ou du Péloponnèse.

Architecture, sculpture et peinture, tous les arts qui embellissent l’existence, avaient fleuri dans cette forêt envahissante et fiévreuse, orateurs, guerriers et hommes d’état, beauté, ambition et gloire avaient vécu et disparu, et personne ne savait qu’il y avait eu de telles choses, ni être en mesure de parler de leur existence passée.

Raoul avait bien tenu le coup jusqu’à l’âge de 20 ans et puis, un jour, c’en fut trop et il finit par trouver passage sur un vieux cargo suédois affrété par la Transatlantique, le Silver Océan, pour gagner le Nouveau Monde en profitant des vacances d’été. Il s’agissait de gagner le Yucatan en passant par les Antilles.

Sur le plan archéologique, ce galop d’essai s’avéra être un véritable fiasco. Quatre mois plus tard, bousculé par ses parents, qui se souciaient bien plus que lui de ses études, Raoul revint au Havre, sans le colonel Fawcett bien entendu, mais pourvu de quelques litres de vieux rhum et d’un accent pidgin criollo à couper au couteau. Adieu foulards, adieu madras, adieu pays de mes amours, Bâ moué un tibo, deux tibos, trois tibos doudou. Et se plongea, désabusé, dans l’étude de la morphologie du corps humain.Padon, la mofologie du co humain, car il n’était soudainement depuis son retour de cette merveilleuse Amérique, plus capable de pononcé les R.

Cette merveilleuse Amérique, si tard découverte dans l’histoire humaine. Enfin, réfléchissons bien, l’idée de ce monde lointain, du continent situé loin dans l’ouest a sans nul doute pu être entretenue par l’échouage sur les côtes occidentales de l’Europe d’objets provenant d’Amérique. Un exemple seulement, car j’en ai d’autres :

En l’an 62 avant notre ère vint atterrir, sur les rives de la Germanie, un bateau monté par des hommes d’une race inconnue. Ils furent capturés et le roi des Suèves en fit cadeau à Metellus Celer, proconsul pour la Gaule. Un peu plus tard, le premier géographe connu, Pomponius Mela, publia la première carte du monde, sur laquelle ne figurait pas l’Amérique. Les Anciens virent dans ces captifs des Indiens, c’est à dire des gens qui seraient venus de l’Inde en contournant le fleuve Océan, d’est en ouest. C’est seulement à partir du XVIème siècle que certains auteurs ont vu dans ces naufragés des Américains.

Mais revenons, si vous le voulez bien rue Tanguy Malmanche, où Raoul parle, gesticule et s’enfièvre, alors que Bernard s’apprête à sombrer pavillon haut. Et c’est normal car, dans la conversation, Raoul vient d’évoquer son fabuleux Alberto.

Alberto Ruz Lhuillier

« Alberto va a Paris : Alberto, tu, es possible? yo vivire tranquillo, me divertire, évitando las aventuras… » Non ! Ce n’est pas le héros de la méthode Assimil, mais tout simplement si j’ose dire Alberto Ruz Lhuillier lui-même.

Vous le connaissez, vous, Alberto Ruz Lhuillier ? Peut-être ou peut-être pas. Et pourtant, quel singulier individu au destin formidable, tout simplement époustouflant.

Palenque / Chiapas / Mexique

Comment vous résumer son aventure en quelques mots ? Chargé de fouilles à Palenque dans les années 1950, il avait remarqué sur le sol du palais à neuf terrasses superposées trois paires de trous, obstrués à l’aide de bouchons de pierre, aménagés dans l’une des dalles du sol du palais sommital.

Intrigué, il décida de faire sauter les bouchons et de soulever la dalle. Sous la dalle, de la terre, des cailloux et une pierre rectangulaire d’un mètre cinquante de long, sur 35cm de large et de 25cm de hauteur. 

J’en frissonne en l’évoquant car cette pierre était ni plus ni moins qu’une marche. Oui, mes amis une marche, et qui dit marche, dit escalier ! C’était la première marche d’un escalier totalement obstrué de chaux et de rochers, qui s’enfonçait par un tunnel voûté au plus profond de la pyramide.

Alberto entreprit une fouille de désobstruction cyclopéenne. A la fin de la saison, vingt-trois marches avaient été mises à découvert. Je passe les détails.

A mesure que le couloir devenait plus profond, les pierres qui l’obstruaient devenaient plus lourdes et fortement cimentées par les sels de chaux qui s’étaient déposées au cours des siècles.

A la fin de la troisième année de travaux, l’escalier était dégagé sur une profondeur de vingt mètres environ. Au cours de l’année suivante, les chercheurs tombèrent sur un corridor fermé par un mur de trois mètres cinquante d’épaisseur. En une semaine, ils en vinrent à bout.

Derrière le mur, un coffre. A l’intérieur du coffre, six squelettes de jeunes gens dont les esprits devaient pour l’éternité garder et servir celui pour qui cette massive pyramide avait été construite.

Suivait un couloir souterrain fermé à son extrémité d’une seule pierre de dimensions gigantesque, masquant un autre souterrain plongé dans l’obscurité. Un projecteur fut braqué vers l’intérieur de la crypte obscure.

Ruz jeta un coup d’oeil par le trou dentelé. En un instant, il sut que ses quatre années de patient labeur avaient été très généreusement récompensées, et même au-delà, mais cet au-delà, le connaîtrait-il jamais ?

La découverte était stupéfiante et quelques minutes s’écoulèrent avant que Ruz pût décrire le spectacle qu’il avait devant lui.

A toi, Alberto caro mio, vas-y, tu es né à Pigalle :

« De l’ombre obscure surgissait une vision de conte de fées, un spectacle fantastique, éthéré d’un autre monde, on aurait dit une vaste grotte magique sculptée dans la glace, pourvue de murs étincelants et scintillants comme des cristaux de neige, l’ensemble donnait l’impression d’une chapelle abandonnée, et nos yeux étaient les premiers qui la contemplaient depuis plus de mille ans. »

Devant lui gisait la gigantesque dalle sculptée de trois mètres cinquante sur deux de large, gravée en haut relief du dessin le plus beau, mais aussi le plus énigmatique qui se puisse imaginer.

Ruz l’interpréta comme « Le désir ardent de l’homme d’une vie future, cet homme pour lequel fut construit le monument, il est condamné à être englouti par la terre sur laquelle il repose, mais dans l’espoir d’une vie éternelle, il fixe son regard sur un inexplicable au-delà.

Quelques jours plus tard, la lourde porte triangulaire du souterrain fut ouverte.

« Je pénétrai dans la salle mystérieuse avec le sentiment étrange et naturel d’être le premier, depuis mille ans, à franchir les marches de l’entrée. J’essayais d’en avoir la même vision qu’en avaient eue les prêtres de Palenque lorsqu’ils avaient quitté la crypte. Je voulais effacer les siècles et entendre les vibrations des dernières voix humaines sous ces voûtes massives. Je m’efforçais de capter le message caché que ces hommes d’autrefois nous avaient légué aussi intact. A travers le voile impénétrable du temps, je cherchais l’impossible lien de leurs vies avec les nôtres. 

A suivre: Une étrange rencontre sur le Zocalo de Villa Hermosa